mercredi 14 décembre 2016

Licenciement pour inaptitude : dans sa recherche de reclassement, l'employeur peut désormais tenir compte de la position prise par le salarié inapte

Lorsqu'un salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à son poste, l'employeur doit rechercher un poste en reclassement, au sein de l'entreprise mais aussi au sein du groupe auquel elle appartient, en envisageant au besoin des mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

Jusqu'à présent, la Cour de Cassation estimait que l'employeur devait mener une recherche de reclassement complète, quelle que soit la position prise par le salarié.

Par exemple, même si le salarié avait refusé un poste au motif qu'il était trop loin de son domicile, l'employeur devait tout de même lui proposer les autres postes envisageables pour un reclassement, même si ceux-ci étaient tout aussi loin.

De même lorsque le salarié refusait un poste moins bien payé, ou trop différent de celui qu'il occupait avant.

Cette jurisprudence avait le mérite d'éviter qu'un employeur de mauvaise foi tende des pièges au salarié, en l'incitant à limiter par lui-même, d'avance, le champ de la recherche de reclassement.

Tel n’est plus le cas aujourd’hui. La Cour de Cassation, par un arrêt du 23 novembre 2016, juge que :

« Mais attendu qu'il appartient à l'employeur, qui peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte, de justifier qu'il n'a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, effectuée au sein de l'entreprise et des entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; que l'appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond ».



Il convient donc désormais qu'un salarié inapte soit très prudent lorsqu'il est interrogé par son employeur sur les possibilités de le reclasser.

A ce genre de question, il conviendra d'apporter une réponse du type « je suis prêt à envisager tous les postes que vous voudrez bien me proposer ».

Ainsi, l’employeur ne pourra pas se dispenser de proposer un poste distant de 12 km du domicile du salarié, au motif qu'il a déjà refusé un poste distant de 10km...


jeudi 29 septembre 2016

Revue des décisions du cabinet / La Cour de Cassation juge qu'un salarié qui se plaint d'un harcèlement moral ne peut pas être attaqué pour diffamation



C'est avec une certaine fierté que nous vous présentons l'arrêt rendu hier par la Cour de Cassation, dans un de nos dossiers.

La Cour de Cassation a jugé que n’est pas une diffamation le simple fait pour un salarié, de relater à son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail (CHSCT et inspection du travail, en l'occurrence) les agissements de harcèlement moral dont il est victime par son supérieur hiérarchique.

Deux employées de cuisine de la société DUPONT RESTAURATION ont écrit à leur employeur une lettre racontant les insultes et humiliations dont elles étaient victimes de la part de leurs supérieurs hiérarchiques.

Elles terminaient leur courrier par ces mots : « Je n'ai d'autre recours que de vous alerter et je vous demande d'intervenir au plus vite afin de faire cesser cet acharnement quotidien et de me permettre d'effectuer mon travail sereinement et dans de bonnes conditions. »

Une copie en était adressé au CHSCT de l'entreprise, et une autre à l’inspection du travail.

Pour toute réponse, leur employeur leur faisait injonction de retirer leurs propos « avant que la situation ne s'envenime » !

Puis la société DUPONT RESTAURATION, ainsi que les deux supérieurs hiérarchiques, attaquaient les deux salariées (alors en arrêt de travail pour dépression) pour diffamation devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS, pour réclamer 10.000 euros de dommages et intérêts à chacune.

Le Tribunal a jugé que cette lettre était diffamatoire au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 (sur la liberté de la presse). Il a condamné notre cliente et sa collègue à payer 300 euros à chacun de leurs supérieurs hiérarchiques.

Nous avons fait appel.

La Cour d'Appel de PARIS a légèrement aggravé la condamnation.

Heureusement, par arrêt du 28 septembre 2016, la Cour de Cassation, souligne que les exigences du droit de la presse et de la diffamation, notamment en matière de preuve, ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité du droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont il estime être victime.

La Cour de Cassation, chambre civile, aligne ensuite sa jurisprudence sur celle de la chambre sociale, indiquant que désormais, dans ce cas, le salarié ne peut être poursuivi qu’en cas de particulière mauvaise foi, c’est à dire s'il avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués.

Elle ajoute que le salarié de mauvaise foi sera pénalement sanctionnable uniquement sur le terrain de la dénonciation calomnieuse, et non de la diffamation.

La différence est de taille, car en matière de dénonciation calomnieuse, comme de droit du travail, c’est à l'employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié.

Alors qu'en matière de diffamation, c'est la personne poursuivie qui doit apporter des preuves, ou démontrer sa bonne foi (le seul fait de croire sincèrement ce que l'on a dit n'étant pas une preuve de bonne foi suffisante...).

Le simple exercice d'un droit encadré par la loi ne peut être constitutif d'une infraction pénale. Or l'article L1152-1 du Code du Travail est très clair :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

L'intention de l'employeur était vraisemblablement de contourner ce texte en se plaçant sur le terrain de droit de la presse et de la diffamation, supposé plus propice à une sanction déguisée.

L'objectif de la loi de 2002 était de permettre à un salarié témoin ou victime de harcèlement d'alerter son employeur, sans avoir obligatoirement à constituer au préalable un dossier de preuves irréfutables.

C'est pour que l'alerte puisse être donnée, qu'en cette matière, la liberté d'expression du salarié a été spécialement encouragée, encadrée, et protégée.

Si l'on avait suivi le raisonnement des juges de première instance et d'appel, et de l’employeur, l'effet des dispositions protectrices visées ci-dessus aurait été mis à néant, puisqu'un salarié aurait pu, pour les mêmes propos, à la fois bénéficier d'une immunité en droit du travail et être pénalement répréhensible.

Si la loi de 1881 leur avait été applicable, comment, sans risquer d'être pénalement poursuivies, des victimes de harcèlement moral auraient-elles pu dénoncer ces faits à leur employeur :

  • s'il leur était interdit de relater des faits dont elles n'ont pas la preuve ;
  • s'il leur était interdit de désigner leurs agresseurs, sous peine d'attenter à leur honneur ?

La Cour de Cassation a voulu donner un retentissement important cette décision, en ordonnant sa publication au bulletin de ses arrêts, à son rapport annuel et sur son site internet.



Pour demander cette décision

lundi 26 septembre 2016

Actualité accident du travail / la faute inexcusable de l'employeur reconnue pour deux salariés intoxiqués par des pesticides


Par jugements du 11 septembre 2014 et du 22 septembre 2016 le tribunal des Affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc a reconnu la faute inexcusable de l'employeur pour deux salariés de la société Eolys, devenue filiale de Triskalia, groupe agroalimentaire breton, et les a indemnisé du préjudice subi, à hauteur de 110.000 euros chacun.

Il s’agissait de deux salariés affectés sur une plate-forme de transit de produits phytosanitaires, qui ont été exposés à des poussières de pesticides conditionnés en poudre.

C’est en déchargeant des camions que les deux salariés ont ressenti des brûlures au visage et aux yeux, des problèmes respiratoires, des maux de têtes et des vomissements.

Ils souffrent tous deux d'une intoxication liée à l’inhalation de deux pesticides, dont l'un interdit depuis plusieurs années, et ont développé une hypersensibilité aux produits chimiques multiples, très handicapante au quotidien.

Leur employeur ne leur avait pas remis de vêtements de protection, ni de masques lors des manipulations qui les exposent aux poussières toxiques. Il n'avait pas cru devoir les informer du caractère toxique des produits qu'ils déchargeaient.


Pour lire le jugement du 11 septembre 2014 : cliquer ici.


lundi 5 septembre 2016

Actualité Accident du Travail / Index amputé par un ventilateur, 10.000 € d'amende pour l'employeur


La société SECOFAB vient d'être condamnée par le Tribunal Correctionnel à 10.000 euros d'amende, pour un grave accident du travail dont un de ses intérimaire a été victime le 12 juin 2013.

Cette société est spécialisée dans fabrication de pièces de chaudronnerie de très grandes dimensions.

La victime est un soudeur intérimaire, qui a voulu déplacer un ventilateur-aspirateur dont le souffle le dérangeait. Les pales de ce ventilateur n'étaient pas sécurisées, faute de grille pour les protéger. Selon le Procureur de la République, l’entreprise n’avait pas souhaité investir dans ces protections pour des raisons de coût.

Les doigts du salarié sont donc entrées en contact avec les pales, et la gravité des blessures a été telle qu'il a dû être amputé de l’index.

L'amende peut paraître peu élevée, eu égard à la taille de l’entreprise.

C’est malheureusement un montant conforme à ce qui est généralement fixé en la matière par les Tribunaux.

Quant à la faute inexcusable de l'employeur, avec une condamnation pénale, les chances de succès devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale sont élevées.

La loi prévoit en effet qu'un équipement de travail comportant des parties mobiles doit impérativement être sécurisé. Tel n'était évidemment par le cas en l'espèce.

lundi 22 août 2016

Revue des décisions du cabinet / Faute inexcusable de l'employeur : Chute à travers la verrière du toit d'un entrepôt


Un ouvrier nouvellement embauché a reçu pour instruction d'appliquer un film thermique adhésif sur les verrières du toit d'un entrepôt RATP.

Pour cela, il lui est demandé, avec un collègue, de monter sur les verrières, installé sur deux planches posées perpendiculairement sur le châssis du vitrage.

Durant son travail, il perd l'équilibre, chute à travers la vitre et s'écrase sur le sol de
l'entrepôt.

Son pronostic vital est engagé, il présente de multiples fractures et un traumatisme crânien.

Il nous a contacté pour soulever la faute inexcusable de l'employeur.

Devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, nous avons, entre autres, souligné le non-respect par l'employeur des règles de prévention en matière de sécurité, et l'absence totale de formation de notre client, qu'il s'agisse de la sécurité ou du travail en hauteur.

Nous avons surtout insisté sur le fait que l'employeur n'avait fourni à notre client aucun matériel adapté, et n'avait mis en place aucune protection, ni collective ni individuelle.

Or la société aurait pu installer des caillebotis en aluminium sur le châssis de la verrière afin de constituer un plan de travail sécurisé pour ses salariés.

Au minimum, des filets auraient pu être installés en sous-face de la verrière, afin de constituer un recueil souple permettant d'éviter une chute potentiellement mortelle.

De son coté, l'employeur a prétendu avoir mis à la disposition de ses salariés une échelle et des harnais de sécurité.

Nul n'a trouvé trace de ces équipements. En toute hypothèse, il n'a pas été capable d'expliquer comment, selon lui, il s auraient permis de protéger les salariés.

Des harnais de sécurité n'aurait eu une utilité que si une ligne de vie avait été préalablement installée, ce qui n'était pas le cas.

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS a donc constaté que la faute inexcusable de l'employeur était à l'origine de cet accident du travail, soulignant que :


« L'employeur ne pouvait ignorer que ce salarié n'avait pas de formation à la sécurité et pas de harnais et qu'il courait des risques graves à monter sur la verrière. Pourtant il ne lui a pas donné d'ordre exprès et écrit de ne pas monter sur la verrière. »

Pour obtenir cette décision, cliquer ICI

Revue des décisions du cabinet / Le licenciement du salarié pendant un arrêt maladie est interdit par la loi, sauf si l'employeur prouve que l'absence du salarié perturbe son entreprise au point qu'un remplacement définitif est la seule solution

Gravement malade, un ouvrier de la métallurgie (contrôleur mécanique) est placé en arrêt de travail pour une longue période.


1er problème

Après 6 mois d'arrêt, son employeur le licencie en raison des perturbations prétendument provoquées dans l'entreprise du fait de son absence prolongée.

Dans ce type de cas, le licenciement est autorisé durant l'arrêt de travail du salarié lorsque son absence prolongée perturbe le fonctionnement de l'entreprise, entraînant la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif (notamment : Cass. Soc. 15 janvier 2014, pourvoi n°12-21179 ; Cass. Soc. 26 janvier 2011, pourvoi n°09-67073 ; Cass. Soc., 23 septembre 2009, pourvoi n°08-41970, Cass. Soc. 7 avril 2009, pourvoi n°08-40073).

La désorganisation de l'entreprise doit être appréciée eu égard à l'emploi et la qualification du salarié absent (Cass. Soc., 6 février 2008, pourvoi n°06-45762), à la taille de l'entreprise, et au volume de son activité.

Surtout, c’est à l'employeur d'apporter la preuve d'une désorganisation à ce point importante que le remplacement définitif du salarié est la seule solution.

Il n'y est pas parvenu en l'espèce.

Devant le Conseil de Prud’hommes, nous avions en effet soulevé que :

1/ La société en cause employait 170 salariés, et son service de contrôle, où travaillait notre client, occupait 5 salariés fixes et de nombreux intérimaires. Puisque ce travail pouvait être fait par un intérimaire, on ne voyait pas pour quelle raison un remplacement définitif devait être envisagé.

2/ Il n'existe pas de formation spécifique pour ce poste de travail. Il était donc difficile pour l'employeur de soutenir qu'il fallait pour ce poste des compétences très spécifiques, si bien que l'absence du salarié perturbe l'entreprise.

3/ Le responsable du service montage a été plus d'un an en arrêt maladie sans que l'employeur ait considéré qu'il fallait procéder à son remplacement définitif.

4/ La personne censée avoir été recruté pour remplacer notre client occupait en réalité un autre poste.

Par jugement du 24 novembre 2015, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a prononcé la nullité de ce licenciement, indiquant : « la société D. aurait pu rechercher un intérimaire dans l'attente de son retour d'arrêt maladie ».

L'employeur a été condamné à payer la somme de 23 000 € à titre de dommages-intérêts à notre client.


2ème problème

L'employeur n'avait pas informé l'organisme de prévoyance des arrêts de travail du salarié, le privant en des prestations auxquelles il avait droit à titre de complément de salaire.


Le conseil de prud'hommes a condamné l'employeur à payer à notre client 26 000 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de déclaration de son travail auprès de l'organisme assureur.

Pour obtenir cette décision, cliquer ICI.

jeudi 7 janvier 2016

Revue des décisions 2015 du cabinet / Reconnaissance en accident de service d'un choc psychologique chez un fonctionnaire de France Telecom.

Un fonctionnaire au sein de FRANCE TELECOM rencontre depuis plusieurs années des difficultés avec sa hiérarchie, et s'estime victime de harcèlement moral.

Il est notamment convoqué à plusieurs reprises à des entretiens « managériaux » impromptus en présence de plusieurs supérieurs hiérarchiques, qui s'avèrent être des entretiens disciplinaires déguisés.

À l'annonce d'un nouvel entretien de ce type, il est victime d'un malaise et appelle les pompiers. Ces derniers diagnostiquant « de l'angoisse, de l'anxiété et du stress », et l'emmènent à l'hôpital. Il est aussitôt placé en arrêt de travail, du fait d'un choc psychologique important et d'un état anxio-dépressif.

FRANCE TELECOM refuse de prendre en charge cet accident de service et ses conséquences.

Après expertise psychiatrique judiciaire, et une longue procédure, le Tribunal Administratif de PARIS lui a donné gain de cause :

« considérant qu'il résulte des pièces du dossier que, le 25 juin 2009, M. S., qui avait été informé par courrier du 5 juin 2009 de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre, été convoqué par courriel par son supérieur hiérarchique un entretien immédiat, pour remise de documents relatifs à cette procédure, sans que l'assistance d'un représentant syndical lui soit autorisée ; que, victime d'un malaise, il a été pris en charge par le service des urgences de l'Hôtel-Dieu où le praticien a diagnostiqué une crise d'angoisse ; qu'à la suite de cet accident, M. S. a présenté un état anxieux et des troubles dépressifs qui ont nécessité des arrêts de travail successifs (…) ; qu'il résulte tant du rapport d'expertise du 23 mars 2010, réalisé par un médecin psychiatre expert et praticien hospitalier, à la demande de France Telecom, et du certificat médical établi le 14 juin 2011 par le médecin expert attaché à l'Hôtel-Dieu, que du rapport d'expertise diligenté par le tribunal, rendu le 12 décembre 2013, que le malaise de M. S. survenu le 25 juin 2009 trouve son origine et a pour cause déterminante ses conditions de travail, caractérisée par une forte conflictualité avec sa hiérarchie ; (…) l'accident du 25 juin 2009 doit être regardé comme étant en lien direct et certain avec l’exécution du service ».

FRANCE TELECOM, devenu ORANGE, a fait appel de cette décision.

Par arrêt du 31 décembre 2015, la Cour Administrative d'Appel de PARIS confirme le jugement, en rappelant très clairement les critères de prise en charge d'un accident de service :

« Considérant qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de tout autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service ».


Pour demander une copiede cette décision, cliquer ici.