jeudi 29 août 2019

Harcèlement moral : On ne peut pas pénaliser la victime pour avoir « contribué par son comportement à la dégradation des conditions de travail »

La Cour d'Appel de Versailles a jugé qu'une élue du personnel avait été victime de discrimination syndicale et harcèlement moral, caractérisés par :

  • deux tentatives de licenciement motivées par l'exercice de son mandat,
  • reproches sur le dépassement d'horaires dû au débordement des audiences prud'homales auxquelles elle siégeait,
  • mise en accusation devant les salariés lors des réunions des délégués du personnel,
  • entrave à l'exercice des mandats de membres du CE et de déléguée syndicale notamment par le refus de convocation de la salariée ou de fixation de dates de réunion du CE lors de ses jours d'absence.


Cependant, après ces constats, la Cour d'Appel a jugé, de façon choquante à notre avis, qu'il y avait lieu de minorer l'indemnité revenant à la victime, au motif qu'elle « a pu contribuer par son propre comportement lors des réunions des représentants du personnel à la dégradation des conditions de travail ».

L'arrêt n'est pas explicite sur les perturbations auxquelles il fait référence, et l'on reste perplexe quant au grief fait à la salariée, alors même qu'une entrave à son mandat de représentant du personnel a parallèlement été reconnue.

Quoi qu'il en soit, la Cour de Cassation casse cet arrêt, au motif qu'il viole l'article L. 4122-1 du code du travail.

Ce dernier prévoit que :

« Conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur (...) il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.
(...)
Les dispositions du premier alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l'employeur. »

Autrement dit, si un salarié doit veiller à sa propose sécurité dans la mesure de ses moyens, son employeur ne peut tirer argument du comportement ou de la négligence de ce salarié pour minorer sa propre responsabilité.

Cet arrêt nous semble important.

En effet, lorsqu'il est débattu d'un harcèlement moral, toutes les réactions du salarié sont scrutées à l'excès et, pour peu qu'il ait été un peu véhément ne essayant de se défendre, la tentation existe, chez certains employeurs et juges, de le rendre partiellement responsable des agressions qu'il a subies.

Un salarié qui écrit de trop nombreux courriers de protestation, s'énerve, marque son désintérêt pour son travail, porte des accusations, se verra rapidement regardé comme un « excité » qui a peut-être lui-même suscité les comportements dont il se plaint.

La Cour de Cassation nous permet de répondre à cet argument : le débat doit être centré sur les agissements de l'employeur.



lundi 26 août 2019

Faute inexcusable de l'employeur : l'étendue de l'indemnisation du préjudice sexuel

Un jugement constatant la faute inexcusable de l'employeur oblige ce dernier à indemniser la victime d'un accident du travail ou une maladie professionnelle de certains préjudice, notamment le préjudice sexuel.

La Cour de Cassation est très claire : le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit être apprécié distinctement du préjudice d'agrément (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594).

C’est donc un poste de préjudice autonome, qu'il faut faire évaluer au cours de l'expertise.

Aussi gênés que les victimes, les experts ont parfois tendance à éluder ce sujet, ou à couper court à la discussion. C'est pourtant lors de l'expertise qu'il faut faire noter par l'expert les doléances de la victime, et insister pour qu'il se prononce sur ce poste de préjudice.

Personne n'oblige la victime à dévoiler toute son intimité, mais ne pas aborder ce sujet, c'est ne pas recevoir d'indemnité pour ce qui peut être un préjudice très pénalisant.

Le soutien de l'avocat, et du médecin spécialisé qui assistent la victime à l'expertise, sont alors essentiels.

Ajoutons que le préjudice sexuel n'a rien à voir avec la possibilité, ou l’impossibilité, de procréer. La difficulté à fonder une famille est indemnisable au titre du « préjudice d’établissement ».

Il ne doit pas, non plus, être limité à l'impossibilité pure et simple d'avoir des rapports sexuels. La réalité est souvent beaucoup plus complexe, et une perte de libido, due à une perte d'estime de soi, ou à la prise de médicaments, par exemple, peut tout à fait être prise en compte.

Récemment, le 4 avril 2019, la Cour de Cassation a rappelé que ce poste de préjudice doit aussi indemniser une « gêne positionnelle » :

« Attendu que pour rejeter la demande de M. U... tendant à l'indemnisation de son préjudice sexuel, l'arrêt retient qu'aucun des éléments versés par celui-ci ne justifie qu'il soit fait droit à la demande de ce chef, étant relevé que l'expert n'a évoqué qu'une simple gêne positionnelle ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice sexuel comprend l'ensemble des préjudices touchant à la sphère sexuelle, la cour d'appel, qui a constaté l'existence d'un tel préjudice, a violé le texte susvisé ».



Aujourd'hui, ce poste de préjudice reste mal indemnisé, puisque selon les personnes et les handicaps, l'indemnisation de ce poste de préjudice varie généralement entre zéro et 10.000 euros.


Quand on constate l'impact qu'il peut avoir sur la vie des victimes, il ne faut surtout pas le négliger, et en parler avec son avocat.

Accident cardiaque sur le lieu de travail : c'est à la CPAM de prouver que cet accident a une cause totalement étrangère au travail

La reconnaissance en accident du travail d'un malaise cardiaque survenu aux temps et lieu du travail vient de donner lieu à deux décisions successives de la Cour de Cassation.

De la même façon que pour les choc psychologiques, les Caisses de sécurité sociale restent réticentes à la prise en charge d'un malaise cardiaque arrivé dans un contexte professionnel.

L'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale est pourtant clair : « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».

Au lieu de se limiter à cela, les Tribunaux ont tendance, en cette matière à rechercher si les conditions de travail de la victime ont pu conduire à un tel accident (altercation, stress important, surcharge de travail...).

Par arrêt du 11 juillet 2019, la Cour de Cassation réaffirme qu'il faut se limiter à ce que prévoit la loi. Elle casse un arrêt de Cour d'Appel qui avait jugé qu'il n'existait aucune cause de stress professionnel important, mais au contraire une très bonne ambiance et que la réunion à laquelle la victime devait participer ne présentait aucune difficulté particulière que les relations de la victime avec son nouveau supérieur, arrivé au mois d'août, étaient très constructives et le dialogue très ouvert.

La Cour de Cassation indique « qu'en statuant ainsi, alors que l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Il appartient donc à la CPAM, si elle estime qu'il ne s'agit pas d'un accident du travail, de prouver que l'accident a une cause totalement étrangère au travail.


Il est à noter que dans ce type de dossier, la CPAM procède souvent de la même façon. Elle ne se donne pas la peine de chercher à établir que l'accident a une cause totalement étrangère au travail, et se contente d'opposer un avis médical négatif de son médecin-conseil. Elle propose à la victime de contester, si elle le souhaite, cet avis en demandant une expertise médicale.

Trop souvent malheureusement, la Caisse interroge cet expert sur l'existence d'un lien démontré entre le travail et l'accident cardiaque. Or, ce faisant, elle inverse la présomption prévue par la loi. Elle devrait en réalité demander à l'expert si l'existence d'une cause totalement étrangère au travail et démontrée...

Ensuite, forte de deux avis médicaux négatifs (un basé sur aucun dossier médical, et l'autre qui répond à une question violant la loi), elle confirme son refus de prise en charge et décourage les victimes.

Il ne faut pas se laisser impressionner par manière de faire, et saisir le Tribunal.