vendredi 17 avril 2020

Faute inexcusable de l'employeur - Réponses à vos questions - la FAQ

Comment faire reconnaître une faute inexcusable de l'employeur ?
Quels sont les délais ?
Comment défendre mon dossier ?

Voici les réponses aux questions qui nous sont le plus souvent posées par nos clients.


La faute inexcusable de l'employeur, qu'est-ce que c'est ?

La faute inexcusable de l'employeur est prévue par les articles L452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale.

C'est une manière pour les victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice, à la fois par leur employeur et par la CPAM.

La Cour de Cassation la définit comme ceci : 
En vertu du contrat de travail, l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles/les accidents du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.


Que doit prouver la victime ?

Avant toute chose, si un(e) salarié(e) a été victime d'un accident du travail, il (elle) doit pouvoir prouver les circonstances de l’accident. Sa bonne foi, ou le fait que l'accident a été reconnu par la sécurité sociale, peuvent ne pas être suffisantes.

Si il (elle) a été victime de maladie professionnelle, il (elle) doit prouver qu'il (elle) a été exposé(e) au risque qui a causé la maladie professionnelle : soulèvement répété de charges lourdes, charge de travail trop importante, inhalation de produits chimiques ou de poussières...

Ensuite, juridiquement, pour que la faute inexcusable de l'employeur soit reconnue par le Tribunal, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle doit démontrer :

1/Que son employeur avait, ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il était exposé.

L'employeur est censé connaître les règles de sécurité mises à sa charge par le Code du Travail. 

Il est aussi censé avoir connaissance d'un danger qui lui a été signalé avant l'accident par la victime elle-même, ou un représentant du personnel (art. L.4131-4 du Code du Travail).

2/Que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger.

L'idéal est d’avoir la preuve que l'employeur a été négligent, en oubliant par exemple de fournir du matériel adapté. 

Cependant, si le salarié a apporté suffisamment de preuves sur le premier point, ce sera à l'employeur de se donner le mal de prouver qu'il a respecté toutes les règles de sécurité applicables.

Une fois cette preuve apportée, la responsabilité de l'employeur est établie, car il est tenu, par le contrat de travail, d'une obligation de sécurité de résultat.


Quels sont les documents à réunir ?

Le Tribunal aura bien sûr besoin des documents montrant que la sécurité sociale a reconnu l'accident du travail ou la maladie professionnelle, et le taux d'incapacité (en %) fixé.

Il aura besoin aussi des principaux documents médicaux.

Pour le reste, la preuve est libre : courriers, e-mails, témoignages écrits, enquêtes, compte-rendus de réunion des représentants du personnel, photos... tout peut avoir un intérêt.


Que doit prouver l'employeur ?

La cause de notre cabinet est la défense des salariés victimes, et nous n'allons pas ici donner de conseils à des employeurs qui ont manqué à leurs obligations.

Les victimes doivent savoir que certains employeurs peuvent aller très loin pour contester tout ce qui peut l'être, même l'évidence. Il faut donc s'y préparer. 

Dans un dossier où notre client s'était blessé au genou en chutant sur son lieu de travail dans des escaliers non éclairés, son employeur s'acharnait à dire qu'il s'était en réalité blessé le matin même, dans le métro.


Et si j'ai peur de ne pas avoir de preuves ou de témoignages ?

Il y a des dossiers où l'on n'avait au départ aucun élément de preuve, et où les choses finissent par s'arranger.

Parfois, il faut attendre que certains salariés aient quitté l'entreprise ou soient partis en retraite pour qu'ils aient le courage de témoigner. Ou alors, il faut un peu de temps pour qu'une enquête soit terminée.

Nous conseillons d'interrompre dans tous les cas le délai de prescription de deux ans par une lettre recommandée à la caisse de sécurité sociale. Cela laissera ensuite aux choses le temps de se mettre en place.


Et si la victime a été imprudente, ou même a commis une faute ?

La victime pense souvent qu'elle aurait pu éviter l'accident si elle avait été plus adroite, ou plus prudente. Bien sûr, mais cela n'empêche pas la responsabilité de l'employeur.

La jurisprudence est très claire : peu importe que la victime ait commis une faute ou une imprudence. Il suffit que la faute de l'employeur soit une cause nécessaire du dommage.

Autrement dit, il suffit que la faute de l'employeur ait contribué à la réalisation du risque (accident ou maladie). Même si la faute de l'employeur n’est pas la cause unique ou principale de l'accident, le Tribunal doit reconnaître la faute inexcusable de l'employeur.

De la même façon, un accident ou une maladie peuvent être causés à la fois par la faute d'un tiers (une autre entreprise ou un particulier), la faute de l'employeur et celle de la victime. Le Tribunal recherche simplement si la faute de l'employeur est la cause nécessaire de l'accident ou de la maladie.

Seule une faute inexcusable du salarié peut protéger l'employeur de sa responsabilité. Elle est définie comme
 « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». Il s'agit du cas où, en toute connaissance de cause, le salarié s’est volontairement et gravement mis en danger. Cela reste une situation très exceptionnelle.


Quels sont les délais pour agir ?

L'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est soumise à un délai de prescription de deux ans.

Ce délai commence à courir :

- pour les accidents du travail, à compter du jour de l'accident ou de la cessation du paiement des l'indemnités journalières AT ;

- pour les maladies professionnelles, à compter de la date de la première constatation par le médecin traitant de la maladie ou de la date de cessation du paiement des indemnités journalières MP.

Etant précisé que ce délai est interrompu par l'exercice d'une action pénale (donc pas une plainte classée sans suite) ou par l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

Contrairement à ce qu'on lit beaucoup, ce n'est donc pas à partir de la consolidation que ce délai court, mais à partir de la fin du paiement des indemnités journalières AT/MP.


Comment lancer la procédure ?

C’est très simple.

Il suffit à la victime d'envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception à la caisse de sécurité sociale dont elle dépend (celle qui a reconnu l'accident du travail ou la maladie professionnelle).

Elle doit indiquer ses coordonnées, et dire qu'elle estime que son accident du travail ou sa maladie professionnelle (dont il faut citer la date pour éviter toute confusion) a été causée par la faute inexcusable de l’employeur.

Cela suffit à interrompre le délai de prescription de deux ans.

Ensuite, la caisse de sécurité sociale est censée organiser une conciliation entre l'employeur et le salarié. Tant qu'elle n'a pas annoncé officiellement que sa démarche de conciliation est terminée, le délai de prescription est suspendu. 

Dès qu'elle constate, soit l'absence de conciliation, soit la carence de l'employeur, un nouveau délai de deux ans pour saisir le Tribunal débute.

Il est aussi possible de se passer de la démarche préalable devant la caisse de sécurité sociale, et de saisir directement le Tribunal.


Devant quel Tribunal ?

La procédure a lieu devant le pôle social du Tribunal Judiciaire dont dépend, soit votre caisse de sécurité sociale, soit le lieu de l'accident.


Que gagne la victime si la faute inexcusable de l'employeur est reconnue ?

Lorsque la faute inexcusable de l'employeur est reconnue, la victime a droit à une indemnisation complémentaire, en plus des prestations de sécurité sociale qu'ele recevait déjà.

Cette indemnisation complémentaire est composée de deux choses :

1/La majoration de rente ou de capital

La rente, ou le capital, payé(e) à la victime après la consolidation de son état de santé seront majorés, et ce pour le restant de ses jours.

Plus le taux d'incapacité fixé (en %) par la sécurité sociale est élevé, plus cette majoration sera importante.

Même si le jugement reconnaissant la faute inexcusable est rendu des années plus tard, la majoration rétroagit à la date de consolidation, avec éventuellement paiement d'arrérages.

2/ Les dommages intérêts

Il s'agit d'une somme fixe, qui indemnise certains postes de préjudice, après expertise médicale.

L'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale prévoit l'indemnisation :

- des souffrances physiques et morales avant consolidation
- du préjudice esthétique
- du préjudice d'agrément (les activité de loisirs que, depuis l'accident, la victime ne peut plus pratiquer, ou avec une gène)
- de la perte de chance de promotion professionnelle

La Cour de Cassation a complété cette liste avec les postes de préjudice suivants :

- les frais d'aménagement d'un véhicule adapté en raison du handicap 

- les frais d'aménagement du logement en raison du handicap
- le préjudice sexuel
- le déficit fonctionnel temporaire (incapacité fonctionnelle et perte de qualité de vie avant la consolidation) 

- le besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation.


Qui paie les indemnités ?

Toutes les sommes obtenues seront payées à la victime par la caisse de sécurité sociale, qui les récupérera ensuite auprès de l’employeur, si elle le peut.

Peu importe donc que la société soit en liquidation judiciaire, la victime est assurée d'être indemnisée.

De même, la victime n'a pas à craindre les frais et délais dus à l'exécution forcée d'une décision de justice.


J'ai été victime de harcèlement moral ou de burn-out, est-ce une faute inexcusable de l'employeur ?

Les chocs psychologiques au travail, le harcèlement moral, ou le burn out, peuvent parfois être reconnus en accident du travail ou maladie professionnelle.

Dans ce cas, il est possible de faire reconnaître une faute inexcusable de l'employeur, avec les mêmes règles de preuve et d'indemnisation.


La faute intentionnelle de l’employeur, qu'est-ce que c'est ?

La faute intentionnelle est un cas particulier. Elle implique un acte volontaire de l’employeur avec l'intention de causer des dommages corporels, physiques ou psychiques, à la victime.

Elle est assez difficile à obtenir devant les juridictions, parce qu'il faut démonter une véritable agression de la part de l'employeur, qui va bien au-delà de sa simple négligence fautive.


Puis-je déposer plainte ?

Déposer plainte, auprès de la police ou du procureur de la République est toujours possible. Dans certains cas c’est une bonne idée, et dans d'autres il est possible de gagner votre dossier sans cela.

Les enquêtes de police durent parfois très longtemps, malheureusement.

En tous cas, un simple dépôt de plainte n'interrompt pas le délai de prescription de deux ans. Il faut donc rester prudent.


J'ai été victime d'un accident de trajet, puis-je attaquer mon employeur ?

L'accident de trajet est un cas particulier : c'est l'accident (peu importe sa cause) qui arrive à un salarié qui se rend sur son lieu de travail, ou qui retourne à son domicile.

Dans ce cas, il n'est pas possible de soulever une faute inexcusable de l'employeur.

ATTENTION (1) : Si un chauffeur ou un VRP a un accident en mission, cela peut être un accident du travail, même s'il est arrivé pendant un « trajet ». Dans ce cas, on peut envisager une faute inexcusable de l'employeur.

ATTENTION (2) : Ce n’est pas parce qu'on ne peut pas attaquer votre employeur pour un accident de trajet qu'il n'y a pas de responsable. Si vous avez été victime d'un accident de la circulation, ou agressé(e) en vous rendant sur votre lieu de travail par exemple, nous pouvons vous faire indemniser de votre préjudice.


J'ai été victime d'un accident du travail, mais mon employeur n'y est vraiment pour rien, que puis-je faire ?

Si ce n’est pas votre employeur le responsable de l'accident, alors ce ne sont pas les règles de la faute inexcusable de l’employeur qui sont applicables.

Cependant, si le responsable de l'accident est un tiers (une autre société sur un même chantier, un particulier, un conducteur automobile, un agresseur...), alors il y a sans doute moyen pour nous de vous aider, même en l'absence de faute inexcusable de l'employeur.


Est-ce que mon employeur va me licencier si je lance cette procédure ?

Il est évidemment plus confortable d'attaquer un ancien employeur que son employeur actuel. 

Personne ne peut connaître la réaction d'un employeur dont le salarié fait valoir une faute inexcusable. Certains sauront faire la part des choses, d'autres non.

Deux certitudes tout de même :

- Une fois le délai de prescription de deux ans passé, vous ne pourrez plus revenir en arrière, même si votre employeur décide de vous licencier ou de vous mener la vie dure.

- D'après notre expérience, un employeur n'est jamais reconnaissant à une victime de ne pas l'avoir attaqué. 


Est-ce que je peux attaquer mon employeur aux prud'hommes ?

Vous pouvez saisir le conseil de prud'hommes de tous les sujets liés à votre contrat de travail, mais il n'est pas légalement compétent pour reconnaître une faute inexcusable de l'employeur. 

C'est la compétence exclusive du pôle social du Tribunal Judiciaire. 


Maintenant que j’ai lu tout ceci, puis-je me défendre seul(e) ?

A vous de voir, la représentation par un avocat n’est pas obligatoire devant le Tribunal.

Simplement, plaider devant un Tribunal est un métier qui ne s'improvise pas, et le droit de la sécurité sociale est de surcroit très technique (au point que tous les avocats ne le maitrisent pas).

Les juges ont l'habitude qu'on leur présente un dossier préparé par un avocat, et n'ont pas forcément la même patience avec un simple justiciable.

De son coté, vous pouvez être sûr(e) employeur aura un avocat spécialisé (probablement désigné par son assureur), qui connaitra très bien cette matière.

Pour une égalité des armes, nous vous conseillons d'être assisté par un avocat ayant une bonne connaissance de ce sujet particulier qu’est la faute inexcusable de l’employeur.


J'ai une petite question complémentaire, puis-je vous contacter ?

Oui, bien sûr. Notre vocation est d'aider les victimes dans leurs démarches. Nous sommes d'accord pour vous guider par téléphone sur des problèmes simples. Nous le faisons gratuitement, dans la limite du raisonnable évidemment.

Pour des sujets plus complexes, il faudra convenir d'un rendez-vous. Au moment de la prise de rendez-vous, le tarif de la consultation vous sera indiqué en toute transparence.

Tout savoir sur la faute inexcusable de l'employeur (mise à jour 2020)

Le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle a la possibilité de se retourner contre son employeur si ce dernier a manqué à son obligation de sécurité. Ce manquement conduit à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.


I – Notion de faute inexcusable de l'employeur

Ce que doit établir la victime :

Le régime de la faute inexcusable de l'employeur est fixé par les articles L452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale.

Sa définition actuelle résulte d'arrêts rendus le du 28 février 2002 en matière de maladie professionnelle dues à l'amiante (notamment n°00-10.051, 99-21.555, 99-17.201, et 99-17.221) : 

« En vertu du contrat de travail, l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par l’intéressé du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » 

Par la suite, cette jurisprudence a été étendue aux accidents du travail.

Pour que la faute inexcusable de l'employeur soit reconnue par les juridictions de sécurité sociale, il appartient à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle de démontrer :

1/ Que son employeur avait, ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il était exposé.

La connaissance du danger par l'employeur peut notamment résulter de la violation des règles de sécurité mises à sa charge par le Code du Travail, mais aussi du signalement qui lui aura été fait préalablement à l'accident par la victime elle-même, ou un membre du comité hygiène, sécurité et conditions de travail (art. L. 4131-4 du Code du Travail).

2/ Qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Si le salarié a apporté suffisamment de preuves sur la conscience du danger, ce sera surtout à l'employeur de se donner le mal de prouver qu'il respecté toutes les règles de sécurité applicables, prodigué les formations indispensables, et fourni le matériel nécessaire.

Une fois cette preuve apportée, la responsabilité de l'employeur est établie, ce dernier étant tenu, en exécution du contrat de travail, d'une obligation de sécurité de résultat.


En matière d'accidents du travail, il faudra aussi veiller à ce que les preuves communiquées permettent d'établir avec certitude les circonstances dans lesquelles l'accident s'est produit.


Incidence de la faute de la victime :

Par un arrêt du 24 juin 2005, l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a confirmé sa définition de la faute inexcusable, en ajoutant : 

« Qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes ont concouru au dommage. ».

Dans ces conditions, il importe peu que plusieurs fautes (celle de la victime, mais aussi éventuellement celle d'un tiers) aient concouru au dommage : la faute inexcusable de l'employeur est reconnue dès lors que sa faute a été une cause nécessaire de l'accident ou de la maladie. 

Autrement dit, il suffit que la faute de l'employeur ait contribué à la réalisation du risque, même sans en être la cause prépondérante, pour que sa responsabilité soit encourue.

Seule la faute inexcusable du salarié peut exonérer l'employeur de sa responsabilité. Elle est définie par un arrêt du 27 janvier 2004 comme « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ».

Il s'agit du cas où, en toute connaissance de cause, le salarié s’est volontairement et gravement mis en danger. Cela reste une situation très exceptionnelle.



II - La procédure visant à faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur

Il est important de noter que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est soumise à la prescription de deux ansprévu à l’article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale.

Ce délai commence à courir à compter :

- pour les accidents du travail, du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

- pour les maladies professionnelles, de la date de la première constatation de la maladie par le médecin traitant, ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

étant précisé que ce délai est interrompu par l'exercice de l'action pénale ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

La caisse de sécurité sociale dont dépend la victime est saisie par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette démarche interrompt le délai de prescription.

Après une tentative infructueuse de conciliation, la caisse de sécurité sociale invite la victime à saisir le pôle social du Tribunal Judiciaire compétent. 

L'examen du dossier par le Tribunal portera sur les critères de la faute inexcusable de l'employeur. S'ils sont réunis, il entrera en voie de condamnation.

La procédure devant le Tribunal se déroule en deux temps. Il statuera dans un premier jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable de employeur et ordonnera, avant-dire droit, une expertise médicale.

Après expertise, un second jugement viendra ensuite statuer sur le montant des dommages et intérêts alloués à la victime.



III – L'indemnisation de la victime

Lorsque la faute inexcusable de l'employeur est reconnue, la victime obtient, outre les prestations auxquelles elle avait déjà droit en application du Code de la Sécurité Sociale, une indemnisation complémentaire, composée d'une majoration de rente (ou de capital), et de dommages et intérêts.

La majoration de rente ou de capital :

L'article L.452-2 du Code de la Sécurité Sociale prévoit que la rente, ou le capital, payé(e) à la victime seront majorés.

Cette mesure est d'autant plus favorable à la victime que son taux d'incapacité fixé par la caisse de sécurité sociale est élevé.

La majoration est payée à compter de la date de consolidation, ce qui donne parfois lieu au paiement d'arrérages.

Les dommages et intérêts :

Les postes de préjudice listés par le Code de la Sécurité Sociale :

L'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale prévoit l'indemnisation :

- des souffrances physiques et morales
- du préjudice esthétique
- du préjudice d'agrément
- de la perte de chance de promotion professionnelle

Les postes de préjudice supplémentaires :

Suite à une question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, le Conseil Constitutionnel a rendu le 18 juin 2010 une décision n°2010-8, aux termes de laquelle il a formulé une réserve d’interprétation concernant l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale :

« 18. Considérant, en outre, qu'indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».

Dans le communiqué de presse accompagnant cette décision, le Conseil Constitutionnel précisait qu'il appartiendrait aux juridictions de sécurité sociale de vérifier au cas par cas si les préjudices subis par une victime sont ainsi réparés.

La question du périmètre des « dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale » pouvant donner lieu à indemnisation en plus des postes de préjudice défini par l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale a, dans les années qui suivirent, donné lieu à un débat juridiques, et à de nombreuses décisions au fond contradictoires.

Au terme d'une jurisprudence considérée par les défenseurs des victimes d'accidents comme extrêmement restrictive, la Cour de Cassation a pour l'instant choisi de considérer qu'un dommage donnant potentiellement lieu à une prestation payée au titre du livre IV du Code de la Sécurité Sociale, même pour un montant minime, doit être considéré comme « couvert » et ne peut donner lieu à indemnisation complémentaire.

Ainsi, outre ceux cités par l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale, la Cour de Cassation a, à ce jour, estimé que seuls peuvent donner lieu à indemnisation les postes de préjudice suivants :

- les frais d'aménagement du logement et d'un véhicule adapté en raison du handicap (Cass. Civ 2ème, 30 juin 2011, pourvoi n°10-19475) ;

- le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, et doit désormais être apprécié distinctement du préjudice d'agrément (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594) ;

- le déficit fonctionnel temporaire qui inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594) ;

- la tierce personne avant consolidation : assistance d'une tierce personne pendant la maladie traumatique (Cass. Civ 2ème, 20 juin 2013, pourvoi n°12-21.548).


Le jurisprudence n'évolue plus pour l'instant à ce sujet, et cette liste semble fixée définitivement.

En conséquence, contrairement à la victime d'un accident de droit commun, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur ne peut réclamer de dommages et intérêts, devant la juridiction de sécurité sociale, pour les préjudices suivants (liste non exhaustive) :
  • perte de revenus (salaire, retraite...) pendant l'arrêt de travail et après la consolidation ;
  • incidence professionnelle (s'agissant de la pénibilité au travail, et du retard de carrière essentiellement) ;
  • préjudice scolaire
  • besoin en aide humaine (tierce personne), après consolidation ;
  • déficit fonctionnel permanent.

C'est à la caisse de sécurité sociale qu'il reviendra de faire l'avance des indemnités allouées à la victime par le Tribunal.

La victime n'a donc pas à craindre les conséquences d'une liquidation judiciaire de son employeur ou les frais et délais inhérents à l'exécution forcée d'une décision de justice.


La réparation de la perte de l'emploi :

Lorsque la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue, cela peut avoir des incidences en matière prud'homale, si les séquelles de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle ont conduit à un licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle.

Par un arrêt de principe en date du 17 mai 2006, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a jugé que lorsqu’un salarié a été licencié en raison d’une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l’employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de l’emploi due à cette faute de l’employeur.

Cette indemnité est appréciée souverainement par la juridiction prud'homale, qui est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif au licenciement.

La Cour de Cassation ajoutait, le 26 janvier 2011, que cette indemnisation « ne fait pas obstacle à la réparation spécifique afférente à l'accident du travail ayant pour origine la faute inexcusable de l'employeur par la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale qui n'a pas le même objet ».

Plus récemment, le 3 mai 2018, la Cour de Cassation a jugé que si l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive de la juridiction de de sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail.

Elle souligne :

« (…)
est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée;

Et attendu, qu'ayant constaté, sans méconnaître l'objet du litige, que la salariée ne réclamait pas des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice résultant de son accident du travail ou du manquement de son employeur à son obligation de sécurité mais des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que par son manquement à l'obligation de sécurité, l'employeur était à l'origine de son licenciement pour inaptitude, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle était compétente pour statuer sur cette demande ».


La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur implique nécessairement un manquement de ce dernier à ses obligations en matière de sécurité. Elle devrait donc avoir quasi-automatiquement pour conséquence une procédure prud'homale. 

Attention toutefois aux délais ! Faire reconnaître la faute inexcusable est une procédure pouvant être longue, alors que le salarié n'a désormais qu'une année pour lancer une contestation de son licenciement devant le Conseil de Prud'hommes.

vendredi 28 février 2020

Le bras d'un technicien broyé par une machine : les LABORATOIRES CLARINS condamnés pour faute inexcusable de l'employeur.

Par un arrêt du 20 février 2020, la Cour d'Appel de VERSAILLES a condamné la société LABORATOIRES CLARINS pour faute inexcusable de l'employeur.

Cliquez pour télécharger la décision

En janvier 2011, notre client, technicien de maintenance, préparait une intervention de changement de pièce défectueuse d'un convoyeur aérien (un tapis roulant long de 50 mètres de long, situé à 2,5 mètres de haut), lorsque sa main et son avant bras ont été happés par le rouleau de cette machine, et broyés.

Souffrant de fractures ouvertes, et d'un délabrement du membre supérieur droit, il a subi au cours des mois suivants de multiples intervention chirurgicale et greffes de peau. Il garde de graves séquelles.

Assisté de notre cabinet, il a soulevé la faute inexcusable de l’employeur.

L'employeur a axé toute sa défense sur une négligence fautive de son salarié, à qui il reprochait d'avoir commencé l'intervention seul, sans attendre ses collègues, et d'avoir imprudemment mis la main dans une machine en fonctionnement.

Au contraire, nous avons démontré que les LABORATOIRES CLARINS n'avaient jamais mis en place de procédure d'intervention de maintenance sur la machine en cause, et que le salarié n'avait reçu pour toute instruction qu'un e-mail de quelques lignes, extrêmement flou : « Avec Edem et Gilbert tu vas changé le rouleau hs au 2e étage du conditionnement (celui qui a grincé la semaine dernière) ».

Nous avons aussi relevé que le document unique d'évaluation des risques des LABORATOIRES CLARINS était explicite sur la nécessité de former les salariés :« Machines / risquelié au manque de formation et d'information / prendre le temps de former le personnel ».

Or, non seulement notre client n'avait reçu aucune formation sur la façon d'intervenir sur cette machine, mais il n'a jamais accès à la notice du fonctionnement, alors que c'est obligatoire.

La machine en cause comportant de multiples rouleaux, il était légitime que le technicien vérifie lequel d'entre eux vibrait avant de le changer. Cette vérification ne pouvait être faite que la machine en fonctionnement.

Aucune imprudence ne peut être reprochée à un salarié non formé, qui n'a reçu aucune instruction particulière, et qui s'est contenté de procéder comme il en avait l'habitude.

En mai 2018, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PONTOISE avait reconnu que la faute inexcusable des LABORATOIRES CLARINS était à l'origine de ce grave accident.

La Cour d'Appel vient de confirmer en totalité cette décision, par un arrêt parfaitement motivé.

Notre client va enfin pouvoir être indemnisé.

mardi 3 décembre 2019

Se plaindre de harcèlement sans tomber dans la diffamation : les limites à ne pas dépasser

Un récent arrêt de la Cour de Cassation (Cass. Crim. 26 novembre 2019, n° 19-80.360 – voir ci-dessous) continue de dessiner les limites dans lesquelles un(e) salarié(e) a le droit de dénoncer les actes de harcèlement dont il/elle est victime.

Dans ce dossier, la salariée d'une association destinée à développer l'enseignement confessionnel avait envoyé un e-mail intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral », mettant en cause nommément le vice-président de cette association.

Elle l'a envoyé :
  • au directeur général de l’association,
  • à l’inspecteur du travail.

Jusqu'ici, pas de difficulté.

Le simple exercice d'un droit encadré par la loi ne peut être constitutif d'une infraction pénale. Or l'article L1152-1 du Code du Travail est très clair :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Par un arrêt du 28 septembre 2016 (pourvoi n°15-21823), que nous connaissons bien (il s'agissait d'un de nos dossiers), la Cour de Cassation avait jugé que les exigences du droit de la presse et de la diffamation, notamment en matière de preuve, ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité du droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont le salarié estime être victime.

La Cour de Cassation, chambre civile, avait en cette occasion aligné sa jurisprudence sur celle de la chambre sociale, indiquant que dans ce cas, le salarié ne peut être poursuivi qu’en cas de particulière mauvaise foi, c’est à dire s'il avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits qu'il allégué.

Elle ajoutait que le salarié de mauvaise foi serait pénalement sanctionnable uniquement sur le terrain de la dénonciation calomnieuse, et non de la diffamation.

La différence était de taille, car en matière de dénonciation calomnieuse, comme en droit du travail, c’est à l'employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié.

Alors qu'en matière de diffamation, c'est la personne poursuivie qui doit apporter des preuves, ou démontrer sa bonne foi (le seul fait de croire sincèrement ce que l'on a dit n'étant pas une preuve de bonne foi suffisante...).

Dans la situation décrite ci-dessus, si la salarié s'en était tenue à envoyer son e-mail à son employeur et à l'Inspection du Travail, nul n'aurait pu l'inquiéter.

Malheureusement, elle a aussi adressé son e-mail :
  • au directeur spirituel de l’association et d’un établissement d’enseignement supérieur,
  • au fils de la personne qu'elle incriminait.

Or la loi ne donne pas à ces deux personnes de pouvoir particulier pour intervenir en matière de harcèlement.

Dès lors, la cour de Cassation a estimé que la protection évoquée ci-dessus n'avait plus lieu d'être, et souligne à nouveau que pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale (rappelons que la diffamation est un délit), la salariée en cause aurait dû réserver son envoi à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et ne pas l'adresser à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.

Elle est donc condamnée pour diffamation publique.

Ce qu'il faut retenir de cette décision, c'est que la personne s'estimant victime d'un harcèlement peut librement s'adresser à son employeur, à l'Inspection du Travail, voire au CHSCT de l'entreprise, mais qu'en aucun cas, elle ne doit prendre à témoins d'autres personnes de ses accusations.




Cass. crim., 26-11-2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I
    (…)

    15. Pour retenir Mme ... dans les liens de la prévention l'arrêt énonce, après avoir constaté que le courriel de celle-ci a été adressé de sa messagerie électronique, non seulement à M. Lionel ..., directeur général de l'association et à l'inspecteur du travail, mais aussi à M. Ariel ..., directeur spirituel de l'association ainsi que d'un établissement d'enseignement supérieur, et à M. Reouven ..., second fils de M. Jean-Paul ..., que les propos poursuivis imputent à ce dernier des faits d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel et moral, selon le titre même du message, ces mots étant repris quasiment à l'identique dans le corps du message, faits attentatoires à l'honneur et à la considération dès lors qu'ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l'objet d'un débat sur leur vérité.

    16. Les juges relèvent que, s'il existe des éléments permettant d'établir la réalité d'un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu'a pu en avoir Mme ..., rien ne permet de prouver l'existence de l'agression sexuelle que celle-ci date de l'année 2015 et pour laquelle elle n'a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n'est des faits, au moins du désarroi de la victime.

    17. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

    18. La personne poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s'estime victime peut s'exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l'article 122-4 du code pénal, lorsqu'elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2, L. 1153-3 et L. 4131-1, alinéa 1er, du code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l'application des dispositions dudit code.

    19. Toutefois, pour bénéficier de cette cause d'irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l'application des dispositions du code du travail et non, comme en l'espèce, l'avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l'une de ces qualités.

    20. Par ailleurs, de ses énonciations et constatations la cour d'appel a déduit, à juste titre, que Mme ... ne pouvait bénéficier de l'excuse de bonne foi, les propos litigieux ne disposant pas d'une base factuelle suffisante.

    21. Ainsi le moyen ne peut qu'être écarté.

    22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour 

REJETTE le pourvoi