mardi 10 décembre 2024

Le Centre de Formation des Journalistes (CFJ) condamné par la Cour d'Appel de PARIS pour faute inexcusable de l'employeur (maladie professionnelle / risques psycho-sociaux / harcèlement moral)

 Par arrêt du 6 décembre 2024, la Cour d'Appel de PARIS a condamné le Centre de Formation des Journalistes pour faute inexcusable de l'employeur, à l'origine de l'état dépressif d'un de ses enseignants
Notre client enseignait depuis de nombreuses années au CFJ, comme responsable de la formation montage. Il était parallèlement élu du personnel.


Cliquer pour télécharger cet arrêt 


Après le rachat du CFJ en 2011 par un société d'investissement appartenant à la famille MULLIEZ, notre client a souffert d'une grave dégradation de ses conditions de travail, due, entre autres, aux propos dénigrants dont il a fait l'objet, et au retrait progressif de ses responsabilités.


La CPAM a reconnu une maladie professionnelle due à un « état anxio-dépressif réactionnel à situation de souffrance au travail ».


Notre client a ensuite été licencié, pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Nous avons fait juger que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse.


Comme c’est malheureusement souvent le cas, il n'existait pas, dans ce dossier, de témoin direct des dénigrements subis par notre client. La PDG de l’entreprise avait toujours pris soin de l'isoler pour lui tenir, d'après lui, des propos du type :


« Vous nous chiez dans les bottes ! » ;


« Vous travaillez comme il y a vingt-cinq ans » ;


« Dites à vos petits camarades que s'ils ont quelque chose à demander, qu'ils ne passent surtout paspar vous ; à vous, on n'a même pas envie de donner un morceau de sucre ».


C'est la raison pour laquelle, en suivant l'argument de l'employeur sur le manque de preuves d'un harcèlement moral, le pôle social du Tribunal Judiciaire de PARIS ayant rejeté notre demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.


Notre client a suivi notre conseil et a bien voulu faire appel, malgré son découragement.


Devant la Cour d'Appel, nous avons souligné que c'était une erreur, de la part du Tribunal, de rechercher s'il y avait eu ou non harcèlement moral.


La faute inexcusable de l'employeur répond à des règles spécifiques, très différentes de celles en vigueur en droit du travail.


La Cour d'Appel relève que : « la présente cour ne saurait être tenue par les constatations faites par la juridiction prud’homale saisie d'une demande de reconnaissance d'un harcèlement moral dans le cadre du présent litige en demande de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur en raison d'une maladie professionnelle qui repose sur des critères différents ».


Ainsi, les obligations de l'employeur vont bien au-delà de la prévention du harcèlement moral. Il doit agir en prévention de toute situation de risques psycho-sociaux, quelle que soit leur nature.


L'article L.4121-1 du Code du Travail inclut la protection de la santé mentale dans le champ de l'obligation de sécurité de l'employeur : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».


L'article L.4121-2 du même Code met à la charge de l'employeur l'obligation d'« éviter les risques », de les « combattre à la source » et surtout de : « Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel ».


Les critères de la faute inexcusable de l'employeur peuvent donc être réunis sans qu'il y ait nécessité de démontrer au juge un harcèlement moral.


Il suffit de prouver que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque auquel était exposé le salarié, et l'absence de mesures prises pour l'en préserver.


Nous avons pu établir que l'employeur ne pouvait pas ignorer la dégradation de l'état de santé de notre client.


La Cour d'Appel nous suit sur ce point : « Il en ressort que quelle que soit la teneur exacte propos tenus lors de ces trois entretiens qui se sont tenus hors la présence de témoins, que la direction n'a pas pris en compte l'impact de leur déroulement et du climat de tension existant sur la santé de M. X ».


Nous avons aussi plaidé que l'employeur n'avait rien fait pour protéger la santé de son salarié. Dans ses différents courriers, le CFJ s'est toujours contenté de dénégations, ou d'indiquer ne pas partager sa « vision des choses concernant votre situation ».


Débiteur d'une obligation de sécurité de résultat, il ne pouvait se contenter de rabrouer une personne qui alertait sur la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.


Ainsi, quand bien même le CFJ estimait n'être pour rien dans l'état dépressif de son salarié il avait l'obligation légale de mettre en place des mesures de nature à protéger sa santé. 


Comme cela doit être fait en cette matière, la Cour d'Appel a ordonné la majoration de la rente de notre client, et ordonné une expertise médicale pour l'évaluation de son préjudice.


vendredi 23 février 2024

Aggravation en 2017 d'un accident de 1990 : l'intérêt de démontrer le préjudice professionnel - (Dossier de notre cabinet contre la MACIF - jugement du Tribunal de PARIS, 9 janvier 2024)

 En 1990, à l'âge de 22 ans, notre cliente a été renversée par une voiture, et grièvement blessée. Elle souffrait de multiples fractures aux membres supérieurs et inférieurs.


A l'époque, elle avait été indemnisée sur la base du taux d'incapacité permanente partielle, fixé par les experts à 27%. Il n'était pas, alors, question de préjudice professionnel.


Elle a ensuite pu travailler comme caissière pour un groupe de restauration collective.


En 2017, désormais âgée de 48 ans, elle a subi une aggravation de son état de santé. Elle a de nouveau été opérée, puis licenciée par son employeur pour inaptitude physique.


Elle souffre en effet d'une aggravation de l'enraidissement du poignet droit compliquée d'une algoneurodystrophie.


En 2019, elle a contacté notre cabinet pour que nous l’assistions dans ses démarches d'indemnisation.

Cliquez pour télécharger le jugement


Grâce à l'expertise judiciaire que nous avons demandée, nous avons pu démontrer que cette aggravation était bien en lien direct avec l'accident de 1990. Son taux d’incapacité permanente partielle a été augmenté de 10% (soit 37% au total).


Outre de nouvelles souffrances, et un handicap plus marqué, la principale différence avec le dossier initial était que notre cliente était désormais inapte à son poste de travail, et à tout emploi nécessitant desmouvements de force ou répétitifs.


Malgré le rapport d'expertise, la MACIF, notre adversaire, a tout fait pour essayer de s'opposer à l'indemnisation de certains postes de préjudice, dont les pertes de gains professionnels futurs... alors même que notre cliente avait été licenciée pour inaptitude !


Pourtant, selon la Cour de Cassation, l'inaptitude de la victime à l'emploi exercé antérieurement génère nécessairement des pertes de gains professionnels futurs (Cass. Civ. 1ère 20 septembre 2017, pourvoi n°16-21376).


L'objet principal de notre combat contre la MACIF a été de démontrer une l'existence d'une incidence professionnelle conséquente, mais aussi des pertes de gains professionnels liés au licenciement et à la très grande difficulté de retrouver un emploi, quand on ne peut plus utiliser ses membres supérieurs et que l'on n'a pas eu la chance de faire des études. 


Nous avons réussi à en convaincre le Tribunal, qui rappelle que :

« L’expertise a retenu que Madame X ne pouvait exercer son emploi antérieur. 

Au regard des éléments versés aux débats, les séquelles de l’aggravation ont bien une incidence sur la sphère professionnelle et en particulier : 

De l’impossibilité de poursuivre son activité antérieure,

De la perte de lien social que lui procurait son activité professionnelle, 

Et des pertes consécutives qui s’en suivront pour ses droits à la retraite. »


Concernant les pertes de gains professionnels futurs, la MACIF osait écrire : « La situation économique telle quelle existe désormais permet tout à fait à Madame X de retrouver un emploi avec ses capacités, et ce dautant que le marché du travail est très florissant pour les salariés, même sans formation professionnelle. Manifestement Madame X est tout à fait apte à retrouver une activité professionnelle si tant est qu’elle en ait réellement l’envie » !


Le Tribunal n'a heureusement pas suivi l'argumentaire de l’assureur. Il juge au contraire que :


« Il ne peut qu’être constaté que Madame X n’est pas apte à reprendre ses activités dans les conditions antérieures et qu’il y a très peu de chance qu’elle puisse trouver un autre emploi adapté à ses séquelles et à ses qualifications limitées. La victime n’a d’ailleurs pas à justifier de la recherche d’un emploi compatible avec les préconisations de l’expert ».


Enfin, le Tribunal a suivi notre demande de sanctionner la MACIF , qui avait fait une offre d’indemnisation tardive et incomplète.


Il l'a condamnée à payer à notre cliente des intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le tout montant de l'indemnité allouée.


Ainsi, aux 537.419 € de dommages et intérêts pour l’aggravation du préjudice, sont venus s'ajouter 158.779 € supplémentaires de pénalités pour la MACIF.