mardi 3 décembre 2019

Se plaindre de harcèlement sans tomber dans la diffamation : les limites à ne pas dépasser

Un récent arrêt de la Cour de Cassation (Cass. Crim. 26 novembre 2019, n° 19-80.360 – voir ci-dessous) continue de dessiner les limites dans lesquelles un(e) salarié(e) a le droit de dénoncer les actes de harcèlement dont il/elle est victime.

Dans ce dossier, la salariée d'une association destinée à développer l'enseignement confessionnel avait envoyé un e-mail intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral », mettant en cause nommément le vice-président de cette association.

Elle l'a envoyé :
  • au directeur général de l’association,
  • à l’inspecteur du travail.

Jusqu'ici, pas de difficulté.

Le simple exercice d'un droit encadré par la loi ne peut être constitutif d'une infraction pénale. Or l'article L1152-1 du Code du Travail est très clair :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Par un arrêt du 28 septembre 2016 (pourvoi n°15-21823), que nous connaissons bien (il s'agissait d'un de nos dossiers), la Cour de Cassation avait jugé que les exigences du droit de la presse et de la diffamation, notamment en matière de preuve, ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité du droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont le salarié estime être victime.

La Cour de Cassation, chambre civile, avait en cette occasion aligné sa jurisprudence sur celle de la chambre sociale, indiquant que dans ce cas, le salarié ne peut être poursuivi qu’en cas de particulière mauvaise foi, c’est à dire s'il avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits qu'il allégué.

Elle ajoutait que le salarié de mauvaise foi serait pénalement sanctionnable uniquement sur le terrain de la dénonciation calomnieuse, et non de la diffamation.

La différence était de taille, car en matière de dénonciation calomnieuse, comme en droit du travail, c’est à l'employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié.

Alors qu'en matière de diffamation, c'est la personne poursuivie qui doit apporter des preuves, ou démontrer sa bonne foi (le seul fait de croire sincèrement ce que l'on a dit n'étant pas une preuve de bonne foi suffisante...).

Dans la situation décrite ci-dessus, si la salarié s'en était tenue à envoyer son e-mail à son employeur et à l'Inspection du Travail, nul n'aurait pu l'inquiéter.

Malheureusement, elle a aussi adressé son e-mail :
  • au directeur spirituel de l’association et d’un établissement d’enseignement supérieur,
  • au fils de la personne qu'elle incriminait.

Or la loi ne donne pas à ces deux personnes de pouvoir particulier pour intervenir en matière de harcèlement.

Dès lors, la cour de Cassation a estimé que la protection évoquée ci-dessus n'avait plus lieu d'être, et souligne à nouveau que pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale (rappelons que la diffamation est un délit), la salariée en cause aurait dû réserver son envoi à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et ne pas l'adresser à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.

Elle est donc condamnée pour diffamation publique.

Ce qu'il faut retenir de cette décision, c'est que la personne s'estimant victime d'un harcèlement peut librement s'adresser à son employeur, à l'Inspection du Travail, voire au CHSCT de l'entreprise, mais qu'en aucun cas, elle ne doit prendre à témoins d'autres personnes de ses accusations.




Cass. crim., 26-11-2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I
    (…)

    15. Pour retenir Mme ... dans les liens de la prévention l'arrêt énonce, après avoir constaté que le courriel de celle-ci a été adressé de sa messagerie électronique, non seulement à M. Lionel ..., directeur général de l'association et à l'inspecteur du travail, mais aussi à M. Ariel ..., directeur spirituel de l'association ainsi que d'un établissement d'enseignement supérieur, et à M. Reouven ..., second fils de M. Jean-Paul ..., que les propos poursuivis imputent à ce dernier des faits d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel et moral, selon le titre même du message, ces mots étant repris quasiment à l'identique dans le corps du message, faits attentatoires à l'honneur et à la considération dès lors qu'ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l'objet d'un débat sur leur vérité.

    16. Les juges relèvent que, s'il existe des éléments permettant d'établir la réalité d'un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu'a pu en avoir Mme ..., rien ne permet de prouver l'existence de l'agression sexuelle que celle-ci date de l'année 2015 et pour laquelle elle n'a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n'est des faits, au moins du désarroi de la victime.

    17. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

    18. La personne poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s'estime victime peut s'exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l'article 122-4 du code pénal, lorsqu'elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2, L. 1153-3 et L. 4131-1, alinéa 1er, du code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l'application des dispositions dudit code.

    19. Toutefois, pour bénéficier de cette cause d'irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l'application des dispositions du code du travail et non, comme en l'espèce, l'avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l'une de ces qualités.

    20. Par ailleurs, de ses énonciations et constatations la cour d'appel a déduit, à juste titre, que Mme ... ne pouvait bénéficier de l'excuse de bonne foi, les propos litigieux ne disposant pas d'une base factuelle suffisante.

    21. Ainsi le moyen ne peut qu'être écarté.

    22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour 

REJETTE le pourvoi


mercredi 27 novembre 2019

Exposition aux isocyanates : la RATP condamnée pour faute inexcusable de l'employeur

C'est pour notre cabinet un dossier au très long cours qui vient de s'achever au mois d'octobre 2019.

Il concerne un agent d'entretien de la RATP, qui travaillait dans un dépôt où, entres autres, étaient réalisés des travaux de peinture et de remise en état des bus.

Dans les peintures automobiles utilisées, on trouve un agent toxique bien connu : les isocyanates organiques, qui sont ajoutés à la peinture pour en accroître la résistance et améliorer la qualité du fini. Ils sont connus pour irriter la peau et les yeux, et attaquer les voies respiratoires et les poumons, si bien qu'un tableau des maladies professionnelles leur a spécialement été consacré (tableau n°62).

Au mois de novembre 2007, on diagnostique à notre client un très grave asthme d'origine professionnelle.

Malgré l'évidence, il faudra un long combat pour faire reconnaître cette maladie professionnelle au titre du tableau n°62. La CCAS de la RATP lui opposera d'abord un refus, que notre client contestera. Il obtiendra toujours gain de cause devant la justice, mais la CCAS de la RATP fera appel, puis ira jusqu'en cassation où, une fois encore, elle perdra.

Au bout de 10 ans de procédure, la maladie professionnelle sera finalement reconnue, après une nouvelle décision favorable de la Cour d'Appel de PARIS.

Puis, par arrêt du 23 février 2017, la Cour d'Appel a reconnu la faute inexcusable de l'employeur :

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Nous avons en effet démontré que la RATP ne respectait pas la réglementation l’obligeant à capter et évacuer les émanations de produits chimiques présents dans ses locaux.

Les hottes du local peinture étaient défectueuses, et sur les 40 hottes d'aérations du site, seules 11 étaient en état de fonctionner...

Enfin, un rapport de l'Inspection du Travail soulignait qu'aucune évaluation spécifique du risque chimique n'avait été réalisée par la RATP.

Les critères de la faute inexcusable de l'employeur étaient réunis.

Enfin, par arrêt du 11 octobre 2019, la Cour d'Appel de PARIS a fixé à 64.955,50 euros le montant des dommages et intérêts revenant à notre client, en plus de la majoration de sa rente de maladie professionnelle.

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Il y a lieu de saluer le courage de notre client, qui n'a jamais plié au cours d'une longue et complexe procédure et face à l'acharnement de la RATP. A chaque étape, et jusqu'à la fin, la justice lui a donné raison.

mercredi 4 septembre 2019

Une réunion de travail se transforme en entretien disciplinaire : le choc psychologique du salarié est un accident du travail

Une cadre dirigeante prépare depuis plus d'une semaine une réunion de travail destinée à préparer un futur conseil d'administration. Elle s'y présente avec les nombreux dossiers qui doivent être discutés, mais son employeur, au lieu d'aborder les sujets prévus, lui remet une lettre de convocation à un entretien préalable au licenciement.

S'en suit un échange d'une heure, au cours duquel l'employeur détaille, sur un ton courtois, à une salariée stupéfaite et « sonnée » les motifs de son futur licenciement, remettant en cause ses qualités professionnelles mais aussi personnelles (« Vous ne savez pas communiquer avec les autres. Vous n'écoutez pas. Vous ne recevez pas les messages. C'est impossible de travailler avec vous »...).

Au sortir de cet entretien, la salariée s'effondre en larmes. Son médecin constate un état de détresse important. S'en suivront un long arrêt de travail et un lourd suivi médical.

La CPAM refuse de prendre en charge cet accident du travail, au motif (classique en la matière) que son enquête montre que l'entretien s'est déroulé calmement et sur un ton courtois, ce qui impliquerait l'absence de choc psychologique, et donc d'accident du travail.

Le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE va suivre notre argumentaire, et reconnaître qu'il s'agit d'un accident du travail.

Il souligne que : « Les troubles psychologiques générés par un choc émotionnel peuvent revêtir le caractère d'un accident du travail dès lors qu'il est établi un lien de causalité entre le traumatisme allégué s'étant produit à une date certaine et le fait accidentel ».

La présomption d'imputabilité de l'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale trouve à s'appliquer pour un traumatisme psychologique survenu aux temps et lieu du travail, ce qui était bien le cas en l'espèce.

C'est souvent sur la notion de « choc » émotionnel que le combat avec la CPAM est âpre. Tous les chocs de ce type n'arrivent pas lors d'une violente altercation devant témoins.

Que faire quand tout se passe au cours d'un entretien dans un bureau fermé ?

La particularité du présent dossier est la volonté de l'employeur de créer un effet de surprise, en modifiant sans prévenir l'objet d'une réunion prévue de longue date.

Il a délibérément choisi de prendre notre cliente au dépourvu, la laissant s'investir durant plusieurs jours dans un travail considérable, et lui laissant croire qu'il la conviait à une réunion de travail, alors même qu’il avait préparé une procédure de licenciement.

La souffrance de la victime a été encore aggravée par le fait que l'employeur a cru devoir prolonger leur entretien durant une heure.

Les conditions de l'existence d'un accident du travail sont donc remplies :


jeudi 29 août 2019

Harcèlement moral : On ne peut pas pénaliser la victime pour avoir « contribué par son comportement à la dégradation des conditions de travail »

La Cour d'Appel de Versailles a jugé qu'une élue du personnel avait été victime de discrimination syndicale et harcèlement moral, caractérisés par :

  • deux tentatives de licenciement motivées par l'exercice de son mandat,
  • reproches sur le dépassement d'horaires dû au débordement des audiences prud'homales auxquelles elle siégeait,
  • mise en accusation devant les salariés lors des réunions des délégués du personnel,
  • entrave à l'exercice des mandats de membres du CE et de déléguée syndicale notamment par le refus de convocation de la salariée ou de fixation de dates de réunion du CE lors de ses jours d'absence.


Cependant, après ces constats, la Cour d'Appel a jugé, de façon choquante à notre avis, qu'il y avait lieu de minorer l'indemnité revenant à la victime, au motif qu'elle « a pu contribuer par son propre comportement lors des réunions des représentants du personnel à la dégradation des conditions de travail ».

L'arrêt n'est pas explicite sur les perturbations auxquelles il fait référence, et l'on reste perplexe quant au grief fait à la salariée, alors même qu'une entrave à son mandat de représentant du personnel a parallèlement été reconnue.

Quoi qu'il en soit, la Cour de Cassation casse cet arrêt, au motif qu'il viole l'article L. 4122-1 du code du travail.

Ce dernier prévoit que :

« Conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur (...) il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.
(...)
Les dispositions du premier alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l'employeur. »

Autrement dit, si un salarié doit veiller à sa propose sécurité dans la mesure de ses moyens, son employeur ne peut tirer argument du comportement ou de la négligence de ce salarié pour minorer sa propre responsabilité.

Cet arrêt nous semble important.

En effet, lorsqu'il est débattu d'un harcèlement moral, toutes les réactions du salarié sont scrutées à l'excès et, pour peu qu'il ait été un peu véhément ne essayant de se défendre, la tentation existe, chez certains employeurs et juges, de le rendre partiellement responsable des agressions qu'il a subies.

Un salarié qui écrit de trop nombreux courriers de protestation, s'énerve, marque son désintérêt pour son travail, porte des accusations, se verra rapidement regardé comme un « excité » qui a peut-être lui-même suscité les comportements dont il se plaint.

La Cour de Cassation nous permet de répondre à cet argument : le débat doit être centré sur les agissements de l'employeur.



lundi 26 août 2019

Faute inexcusable de l'employeur : l'étendue de l'indemnisation du préjudice sexuel

Un jugement constatant la faute inexcusable de l'employeur oblige ce dernier à indemniser la victime d'un accident du travail ou une maladie professionnelle de certains préjudice, notamment le préjudice sexuel.

La Cour de Cassation est très claire : le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit être apprécié distinctement du préjudice d'agrément (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594).

C’est donc un poste de préjudice autonome, qu'il faut faire évaluer au cours de l'expertise.

Aussi gênés que les victimes, les experts ont parfois tendance à éluder ce sujet, ou à couper court à la discussion. C'est pourtant lors de l'expertise qu'il faut faire noter par l'expert les doléances de la victime, et insister pour qu'il se prononce sur ce poste de préjudice.

Personne n'oblige la victime à dévoiler toute son intimité, mais ne pas aborder ce sujet, c'est ne pas recevoir d'indemnité pour ce qui peut être un préjudice très pénalisant.

Le soutien de l'avocat, et du médecin spécialisé qui assistent la victime à l'expertise, sont alors essentiels.

Ajoutons que le préjudice sexuel n'a rien à voir avec la possibilité, ou l’impossibilité, de procréer. La difficulté à fonder une famille est indemnisable au titre du « préjudice d’établissement ».

Il ne doit pas, non plus, être limité à l'impossibilité pure et simple d'avoir des rapports sexuels. La réalité est souvent beaucoup plus complexe, et une perte de libido, due à une perte d'estime de soi, ou à la prise de médicaments, par exemple, peut tout à fait être prise en compte.

Récemment, le 4 avril 2019, la Cour de Cassation a rappelé que ce poste de préjudice doit aussi indemniser une « gêne positionnelle » :

« Attendu que pour rejeter la demande de M. U... tendant à l'indemnisation de son préjudice sexuel, l'arrêt retient qu'aucun des éléments versés par celui-ci ne justifie qu'il soit fait droit à la demande de ce chef, étant relevé que l'expert n'a évoqué qu'une simple gêne positionnelle ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice sexuel comprend l'ensemble des préjudices touchant à la sphère sexuelle, la cour d'appel, qui a constaté l'existence d'un tel préjudice, a violé le texte susvisé ».



Aujourd'hui, ce poste de préjudice reste mal indemnisé, puisque selon les personnes et les handicaps, l'indemnisation de ce poste de préjudice varie généralement entre zéro et 10.000 euros.


Quand on constate l'impact qu'il peut avoir sur la vie des victimes, il ne faut surtout pas le négliger, et en parler avec son avocat.

Accident cardiaque sur le lieu de travail : c'est à la CPAM de prouver que cet accident a une cause totalement étrangère au travail

La reconnaissance en accident du travail d'un malaise cardiaque survenu aux temps et lieu du travail vient de donner lieu à deux décisions successives de la Cour de Cassation.

De la même façon que pour les choc psychologiques, les Caisses de sécurité sociale restent réticentes à la prise en charge d'un malaise cardiaque arrivé dans un contexte professionnel.

L'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale est pourtant clair : « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».

Au lieu de se limiter à cela, les Tribunaux ont tendance, en cette matière à rechercher si les conditions de travail de la victime ont pu conduire à un tel accident (altercation, stress important, surcharge de travail...).

Par arrêt du 11 juillet 2019, la Cour de Cassation réaffirme qu'il faut se limiter à ce que prévoit la loi. Elle casse un arrêt de Cour d'Appel qui avait jugé qu'il n'existait aucune cause de stress professionnel important, mais au contraire une très bonne ambiance et que la réunion à laquelle la victime devait participer ne présentait aucune difficulté particulière que les relations de la victime avec son nouveau supérieur, arrivé au mois d'août, étaient très constructives et le dialogue très ouvert.

La Cour de Cassation indique « qu'en statuant ainsi, alors que l'accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Il appartient donc à la CPAM, si elle estime qu'il ne s'agit pas d'un accident du travail, de prouver que l'accident a une cause totalement étrangère au travail.


Il est à noter que dans ce type de dossier, la CPAM procède souvent de la même façon. Elle ne se donne pas la peine de chercher à établir que l'accident a une cause totalement étrangère au travail, et se contente d'opposer un avis médical négatif de son médecin-conseil. Elle propose à la victime de contester, si elle le souhaite, cet avis en demandant une expertise médicale.

Trop souvent malheureusement, la Caisse interroge cet expert sur l'existence d'un lien démontré entre le travail et l'accident cardiaque. Or, ce faisant, elle inverse la présomption prévue par la loi. Elle devrait en réalité demander à l'expert si l'existence d'une cause totalement étrangère au travail et démontrée...

Ensuite, forte de deux avis médicaux négatifs (un basé sur aucun dossier médical, et l'autre qui répond à une question violant la loi), elle confirme son refus de prise en charge et décourage les victimes.

Il ne faut pas se laisser impressionner par manière de faire, et saisir le Tribunal.



vendredi 28 juin 2019

Un malaise cardiaque sur le lieu de travail est un accident du travail

Aux termes de l'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».

Ce texte introduit une présomption d'imputabilité :Il suffit qu'un événement, causant une lésion médicalement constatée survienne aux temps et lieu du travail pour qu'il puisse être qualifié d'accident du travail.

S'il est en désaccord, c'est à l'organisme de sécurité sociale d'apporter la preuve que cet événement n'a aucun lien avec le travail.

En l'espèce, après être arrivé sur son lieu de travail et avoir pointé, un salarié ressent des douleurs au ventre se dirige vers la salle de repos de l'entreprise pour prendre des cachets. Il est alors victime d'un infarctus, dont il finira par décéder.

La CPAM faisait valoir qu'il s'agissait plutôt d'un accident de trajet, à partir du moment où la victime n'avait pas encore pris son poste, et avait ressenti les premiers symptômes du malaise cardiaque antérieurement à son arrivée au sein de l’entreprise.

Par un arrêt du 19 mai 2019, la Cour de Cassation écarte ces arguments : la lésion requise pour qualifier l’accident est bien le malais cardiaque, et non ses symptômes avant-coureurs. L'infarctus s’est produit aux temps et lieu du travail : c’est un accident du travail.



mercredi 23 janvier 2019

Un suicide reconnu en accident du travail

Par un arrêt du 18 janvier 2019, la Cour d'Appel de PARIS a reconnu, après un long combat procédural, que le suicide de l'épouse de notre client était un accident du travail, même s'il ne s'est pas produit sur le lieu de travail. Il est arrivé par le fait du travail.


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Les causes d'un suicide sont difficiles à analyser. Un tel geste est-il dû à un événement soudain ? Jusqu’où remontent ses ramifications? A-t-il une seule cause ou plusieurs entremêlées ?

Ces questions, incroyablement douloureuses pour les proches de la victime, deviennent encore plus complexes lorsque se pose la question de savoir si ce suicide remplit les conditions pour être reconnu comme accident du travail.

Selon l'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».

S'agissant d'un salarié ayant tenté de mettre fin à ses jours à son domicile, la Cour de Cassation a jugé « qu'un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail » (Cass. Civ. 2ème, 22 février 2007, pourvoi n°05-13771).

Il n’est donc pas nécessaire d’identifier avec certitude toutes les causes d'un acte aussi personnel qu'un suicide.

Le seul critère posé par la Cour de Cassation est celui d'un événement survenu « par le fait du travail », en lien direct et certain avec le travail, nonobstant d'autres causes éventuelles.

Dans ce dossier, nous sommes parvenus à établir, avec l'aide de l'Inspection du Travail, que la victime

  • avait été recrutée sur un poste sensible, ayant une importance vitale pour l'employeur (renouveler une accréditation indispensable à son activité économique)
  • qu'elle n'avait ni expérience ni formation sur le sujet qui lui était confié, qui l'a rapidement dépassé
  • que pour être à la hauteur, elle s’est fortement engagée dans le travail, travaillant la nuit et le week-end
  • qu'elle avait une peur panique de décevoir son employeur, et fondait en larmes à son poste de travail au moins une fois par semaine
  • que son supérieur hiérarchique avait à son égard un comportement grossier, et lui avait brutalement supprimé des congés payés négociés plusieurs mois plus tôt
  • que son employeur avait « oublié » de l'inviter à une fête de l'entreprise.

Retenant ces éléments, la Cour d'Appel de PARIS a jugé que « la cause du décès de Mme X. est imputable à son travail, son suicide de revêtant pas un caractère volontaire puisant son origine dans des difficultés privées et personnelles. »

Pour le travail de préparation de ce dossier, nous nous sommes notamment appuyé sur :

Les études de l'INRS intitulées « Suicide en lien avec le travail » et « Le stress au travail », qui soulignent notamment :

« D'après l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (...), un état de stress « survient lorsqu'il y a un déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face ».



L'identification d'un problème de stress au travail peut passer par une analyse de facteurs tels que l'organisation et les processus de travail (aménagement du temps de travail, degré d'autonomie, adéquation du travail aux capacités des travailleurs, charge de travail, etc.), les conditions et l'environnement de travail (exposition un comportement abusif, au bruit, à la chaleur, à des substances dangereuses, etc.), la communication (incertitude quand à ce qui est attendu au travail, perspectives d'emploi, changements à venir, etc.) et des facteurs subjectifs (pressions émotionnelles et sociales, impression de ne pas pouvoir faire face à la situation, perception d'un manque de soutien, etc.).


Enfin, une très intéressante décision de jurisprudence de la Cour d'Appel de DOUAI, s'agissant d'un salarié « fragilisé » par un précédent licenciement, et qui s'est suicidé après avoir été embauché par un nouvel employeur. Il a été jugé que son décès n'en est pas moins directement lié aux conditions d'exercice de son activité professionnelle dans les semaines précédentes (Cour d’Appel de DOUAI, 31 janvier 2013, RG n°11/00443).