jeudi 3 avril 2014

Obligation de sécurité de résultat : l'employeur doit consulter le médecin du travail avant de muter un salarié

En vertu du contrat de travail, l'employeur a une obligation de sécurité de résultat. Le Cour de Cassation vient encore de le rappeler, en sanctionnant l'employeur pour ne pas avoir consulté le médecin du travail avant de changer un salarié de poste.

Un salarié est placé en arrêt maladie durant une semaine, à la suite de quoi le Médecin du Travail le déclare « apte sous réserve d'un suivi par le médecin traitant. Examen complémentaire prévu. »

Trois mois plus tard, son employeur le détache auprès d'une de ses filiales, sans prendre la précaution de consulter le médecin du travail sur son aptitude à ce nouveau poste.

Le salarié est de nouveau placé en arrêt de travail, au terme duquel il est licencié pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.

La Cour d'Appel avait jugé que l'employeur aurait dû, avant de décider le détachement du salarié dans sa filiale, ce qui impliquait un changement de fonction et de lieu de travail, se rapprocher du médecin du travail pour savoir si un examen médical complémentaire avait été effectué, et solliciter son avis sur ce changement de poste, et qu'à défaut de l'avoir fait, il avait manqué à son obligation de sécurité de résultat.


"Attendu que pour décider du placement en position de détachement du salarié, l'employeur ne justifiait pas s'être rapproché du médecin du travail pour savoir si les recommandations faites par celui-ci concernant notamment l'examen médical complémentaire avaient été suivies et pour solliciter éventuellement son avis sur le changement de poste envisagé, la cour d'appel, en a exactement déduit que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité ».

L'obligation de sécurité de l'employeur est donc particulièrement impérieuse, et il doit prendre la précaution de consulter le médecin du travail avant de prendre une décision de changement de poste.

Le harcèlement moral reconnu comme une faute inexcusable de l'employeur

L'employeur est tenu envers ses salariés à une obligation de sécurité de résultat. Le manquement à cette obligation est faute inexcusable de l'employeur. Il suffit que de prouver que ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. A partir du moment où le harcèlement moral a été reconnu par la sécurité sociale comme un accident du travail ou une maladie professionnelle, il est possible d'engager la responsabilité de l'employeur.

La Cour de Cassation vient de le reconnaître par un arrêt du 8 novembre 2012 :

Il s'agit d'un salarié victime d'un infarctus du myocarde, pris en charge comme accident du travail.

Par des attendus particulièrement intéressants et pertinents, la Cour d'Appel de PARIS avait retenu, le 30 juin 2011, que :

« un employeur ne peut ignorer ou s'affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes ; que l'accroissement du travail de M. X est patent sur les années précédant son accident ; que cette politique de surcharge, de pressions, « d'objectifs inatteignables » est confirmée par des attestations ; que les sociétés Sedih et Sogec n'ont pas utilement pris la mesure des conséquences de leur objectif de réduction des coûts en terme de facteurs de risque pour la santé de leurs employés et spécifiquement de M. X, dont la position hiérarchique le mettait dans une position délicate pour s'y opposer et dont l'absence de réaction ne peut valoir quitus de l'attitude des dirigeants de l'entreprise ; que l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur ne peut qu'être générale et en conséquence ne peut exclure le cas, non exceptionnel, d'une réaction à la pression ressentie par le salarié ; que le débat sur la portée exacte de la réunion du 4 septembre 2007 et les propos qui y ont été échangés est sans réel intérêt dès lors que ces propos n'ont été que le déclencheur d'une crise cardiaque générée de longue date par le stress subi par M. X. »

La Cour de Cassation confirme cette remarquable décision, indiquant que les employeurs avaient ou auraient dû avoir conscience du risque encouru par leur salarié et n'ont pas pris les mesures propres à l'en préserver, de sorte que leur faute inexcusable est établie.

On trouve d'autres exemples :

La Cour d'Appel de PAU, par arrêt du 17 juin 2010, a reconnu la faute de l'employeur pour une « anxio-dépression aiguë et un état de stress post-traumatique au travail » : 

« M. Laurent X...était harcelé moralement quotidiennement par son employeur, M. Z... ; que cela se manifestait par des brimades continuelles, des reproches non fondés et des propos personnels humiliants ; que pour justifier ses propos M. Yannick G...a cité l'exemple de la mitraillette où M. Z... mimait une fusillade massive des fainéants de landais ; que le témoin a tenu à préciser qu'il avait vécu exactement la même situation de harcèlement que M. Laurent X... (...) ; M. Laurent X...a produit aux débats plusieurs attestations de diverses personnes qui ont eu à constater les colères, l'agressivité, la violence ou les menaces de M. Z... (...)

Ce comportement et ce traitement, pas plus admissibles dans les relations de travail que dans les relations ordinaires, ne dépendaient que de l'employeur puisque émanant de lui-même et de lui seul, de sorte qu'il avait, ou aurait dé avoir conscience du danger qu'il faisait courir pour la santé physique ou mentale de son salarié en le soumettant de manière injustifiée et répétée à un tel comportement et à un tel traitement. La constance et la répétition de ce comportement et de ce traitement infligés à son salarié, établissent que l'employeur, en ne changeant pas son comportement, n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de son salarié.

Par conséquent, il y a lieu de dire que l'employeur avait, ou aurait dé avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé physique ou mentale de celui-ci, de sorte qu'il a commis une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale. »

Un contre-exemple également, pour insister sur la nature des preuves à rapporter, et leur importance déterminante dans ce type de dossiers : 

Par un arrêt du 21 juin 2012, la Cour de Cassation a jugé que « la salariée ne fournissait aucun élément objectif venant corroborer ses déclarations, la production de témoignages, pour les uns indirects et pour les autres ne reflétant que l'ambiance générale de travail au sein de l'association, ne pouvant suffire à établir la certitude des faits invoqués ».

Comme devant le Conseil de Prud'hommes, c'est donc les témoignages, directs de préférence, qui sont la clé de la reconnaissance du harcèlement moral. 

Des échanges de courriers ou d'e-mails peuvent également être produits, mais le plus souvent, les actes de harcèlement sont verbaux, ou insidieux.

Cancer de la peau d'un ouvrier du bitume : Eurovia, finale du groupe Vinci, condamnée pour faute inexcusable de l'employeur.

La Cour d'Appel de LYON a confirmé le 13 novembre 2012 un jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOURG EN BRESSE, qui reconnaissait, pour la première fois, la faute inexcusable de l'employeur d'un salarié décédé d'un cancer de la peau.

Je vais me procurer cet arrêt, mais il semble que cet ouvrier de la route ait été victime d'un cancer dû aux vapeurs toxiques du bitume et aux contacts répétés de ce goudron avec sa peau.



Accident d'alpinisme : la CIVI indemnise la victime en cas de faute pénale du guide de haute montagne

La procédure devant la CIVI (Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions) n'est pas réservée aux victimes d'agressions physiques caractérisées. 

Pour prétendre à des dommages et intérêts en application des articles 706-3 et suivants du Code de Procédure Pénale, il suffit d'avoir été victime d'une infraction pénale, quelle qu'elle soit, du moment qu'elle a causé une atteinte corporelle. Il peut tout a fait s'agir de blessures involontaires.

En illustration, une récente décision obtenue par notre cabinet :

Une vacancière est victime d'une chute au cours d'une « course de neige », sous la responsabilité d'un guide de haute montagne.

Une glissade de 200 mètres sur des rochers lui a causé un grave traumatisme crânien avec coma, et de multiples fractures.

Pour obtenir l'indemnisation de son préjudice, nous avons choisi de saisir la CIVI de son domicile.

Nous avons en effet estimé que la responsabilité pénale du guide de haute montagne était engagée, les articles 121-3 et 222-19 du Code Pénal sanctionnant la faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

En l'espèce : 

- ce guide avait choisi d'encadrer seul un groupe de 5 alpinistes débutants ;

- avait séparé ce groupe en deux cordées, en confiant à un simple participant la sécurité de la cordée autonome ;

- les avait emmené escalader un col nécessitant des compétences techniques qu'ils ne possédaient pas.


Aux termes de son jugement, la CIVI de CRETEIL a estimé que : « en confiant à une cordée à une personne inexpérimentée qui s'est donc retrouvée à jouer un rôle véritable de guide, et qui n'avait pas la capacité technique d'enrayer une chute dont le risque était élevé en raison de la difficulté du terrain et du niveau des participants, le guide de haute montagne a commis une faute d'imprudence et de négligence ».

Le Fonds de Garantie a cru devoir faire appel de cette décision.

Par arrêt du 20 décembre 2012, la Cour d'Appel de PARIS a confirmé en tous points la décision de première instance.

Cette victime va donc être intégralement indemnisée par le Fonds de Garantie, lequel se chargera de se retourner contre l'assureur de ce guide de haute montagne, s'il en existe un.

Victime d'agression : comment être indemnisé de son préjudice par la CIVI ?

Si vous avez été victime d'une agression, ou d'une autre infraction pénale, même involontaire, vous ayant causé un préjudice corporel, il vous est possible d'obtenir des dommages et intérêts en saisissant la CIVI (Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions). 

Vous pouvez engager cette procédure d'indemnisation même si votre agresseur est inconnu, s'il n'a pas été poursuivi par le parquet (classement sans suite), ou même s'il a été relaxé par un Tribunal.


Vous serez indemnisé par le Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions (FGTI), qui se chargera de recouvrer, si possible, sur votre agresseur le montant des indemnités qu'il vous aura versé.

Vous pouvez donc être indemnisé même si :

- votre agresseur n'a pas été identifié, ou est parti sans laisser d'adresse ;

- votre agresseur est insolvable.


CONDITIONS A REMPLIR :

Encore faut-il remplir les critères légaux pour une indemnisation intégrale, c'est à dire avoir subi :
  • une incapacité physique permanente (séquelle physique ou psychique permanente), même minime ;
  • une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
  • un viol ou une agression sexuelle ;
  • une agression mortelle ;
  • une infraction relevant de la traite des êtres humains.


  • Dans le cas où l'infraction a entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou inférieure à un mois, l'indemnisation est limitée par un plafond fixé à 4 179 € (montant maximum pour 2011), et soumise à des conditions beaucoup plus strictes.


    ATTENTION AU DELAI : 

    Vous disposez d'un délai de 3 ansà compter de la date de l'infraction pour saisir la CIVI.

    Ce délai est est prolongé d'un an à compter de la date de la dernière décision pénale rendue.

    Il est à noter que si le délai est expiré, la victime ou ses ayants droit peuvent être relevés de la forclusion en cas de motif légitime (notamment une aggravation de l'état de santé de la victime), 


    QUELQUES PRECISIONS :

    1/ Cette procédure n'est pas du tout réservée aux victimes d'agressions physiques caractérisées. Il suffit d'avoir été victime d'une infraction pénale, quelle qu'elle soit, du moment qu'elle a causé une atteinte corporelle :

    Si l'on se réfère aux dossiers traités par notre cabinet, tel est par exemple le cas :
  • de la femme de ménage d'un bureau de Poste, qui a assisté sur son lieu de travail à plusieurs braquages, et souffre désormais d'un syndrome post-traumatique, associant un grave état dépressif (sidération, anxiété, perte d'élan vital) et de troubles de l'humeur (sombre, irritable, idées suicidaires).
  • d'une vacancière ayant fait une grave chute au cours d'une course de haute montagne sous la responsabilité d'un guide.


  • 2/ Un français victime d'une agression dans un pays étranger peut saisir la CIVI.

    3/ La CIVI compétente est celle du domicile de la victime.

    4/ Vous pouvez aussi saisir la CIVI si votre agresseur est solvable, pour vous épargner la difficulté de recouvrir les dommages et intérêts directement contre ce dernier. Le Fonds de Garantie s'en chargera à votre place.

    5/ La faute de la victime est susceptible de réduire, ou supprimer son droit à indemnisation. Le débat concernant une éventuelle faute aura lieu à l'audience de la CIVI.

    Fausses déclarations de l'employeur en cas d'accident du travail : des sanctions financières

    Le décret 2013-6 du 3 janvier 2013 vient renforcer le dispositif de sanctions financières encourues par les employeurs en cas de fausses déclarations ou d'absence de déclarations d'accidents du travail et de maladies
    professionnelles.

    Peuvent faire l'objet d'une pénalité les employeurs (article R.147-7 du Code de la Sécurité Sociale) :

    1° Qui portent des indications erronées sur les attestations mentionnées aux articles R. 323-10 et R. 441-4, ayant pour conséquence la majoration du montant des indemnités journalières servies ;

    2° Dont la responsabilité a été reconnue dans le bénéfice irrégulier par un assuré d'indemnités journalières ;

    3° Qui n'ont pas procédé à la déclaration d'accident du travail prévue à l'article L. 441-2 selon les modalités prévues aux articles R. 441-1, R. 441-3 et R. 441-4 ;

    4° Qui n'ont pas respecté l'obligation de remise de la feuille d'accident prévue à l'article L. 441-5 ;

    5° Qui ont procédé à de fausses déclarations sur la déclaration d'accident du travail prévue au premier alinéa de l'article L. 441-2 ayant pour objet ou pour effet de minorer le montant des cotisations dues au titre des accidents et des maladies professionnelles en application de l'article L. 241-5.


    On peut regretter l'absence de sanctions pour les employeurs dont les déclarations erronées conduisent à une réduction du montant des indemnités journalières versées au salariés.

    Il est vrai que ces dispositions semblent avoir plus pour objet la protection des intérêts des caisses de sécurité sociale que ceux des assurés sociaux.

    Reclassement suite à un arrêt de travail : le salarié déclaré apte retrouve son emploi ou un emploi similaire

    Un plombier chauffagiste est victime d'un accident du travail. A son retour d'arrêt, le médecin du travail le déclare apte, à condition de ne pas porter de charges lourdes., ni travailler bras en l'air.

    Son employeur le licencie pour impossibilité de reclassement, au motif que : « l'aptitude du médecin du travail comporte de telles réserves que nous ne pouvons plus vous affecter sur votre activité entretien-chauffage ». Le salarié avait par ailleurs indiqué qu'il ne souhaitait pas un nouveau poste de travail.

    Par un arrêt du 6 février 2013, la Cour de Cassation censure l'arrêt de la Cour d'Appel validant le licenciement, en indiquant :

    « si le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente ».

    Le licenciement n'est justifié qu'en cas d'impossibilité pour l'employeur de proposer au salarié son poste, si nécessaire aménagé, ou un emploi similaire.



    Pas de visite médicale d'embauche : de graves conséquences pour l'employeur

    L'article R.4624-10 du Code du travail prévoit que « Le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail. »

    Cette visite médicale d'embauche est obligatoire, qu'il s'agisse d'un contrat à durée indéterminée ou déterminée.


    Elle concerne aussi les travailleurs intérimaires (article R.4625-9 du Code du Travail), et même les travailleurs saisonniers, s'ils sont recrutés pour plus de 45 jours (article D.4625-22 du Code du Travail).

    Quelles conséquences si l'employeur n'a jamais fait passer la visite médicale d'embauche ?

    Dans ce cas, la Cour de Cassation considère qu'il a manqué à ses obligations légales relatives à la protection de la santé et de la sécurité de ses salariés. Rappelons que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat.

    Ce manquement cause nécessairement au salarié un préjudice, qui lui ouvre le droit de réclamer des dommages et intérêts


    Les choses peuvent aller plus loin, puisque la Cour de Cassation considère que l'absence de visite médicale d'embauche, lorsqu'il n'y a pas non plus existé de visites périodiques, ou de visite de reprise après un arrêt de travail, permet au salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

    Cette prise d'acte a les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.


    Pétition

    PETITION D'ALERTE ET DE SOUTIEN :


    POUR PERMETTRE AUX MEDECINS DU TRAVAIL
    D'ATTESTER D'UN LIEN DE CAUSALITE ENTRE LE TRAVAIL ET L'ATTEINTE A LA SANTE

    POUR SOUTENIR les Drs E. DELPUECH, D. HUEZ et B. BERNERON

    Les médecins du travail sont des spécialistes de la santé au travail. Les pratiques de l'ordre des médecins et de ses instances doivent dorénavant en prendre acte notamment en matière de plaintes d'employeur. Nous revendiquons par conséquent que :

    Une plainte d'employeur ne soit recevable devant une juridiction ordinale que dès lors qu'elle représente l'intérêt de la santé des salariés de l'entreprise. La plainte doit être rejetée lorsqu'elle est fondée sur des motifs extérieurs à la santé des salariés et lorsque la responsabilité de l'entreprise ou de ses dirigeants est engagée, notamment dans un conflit les opposant à un ou plusieurs salariés.

    Dès lors qu'elle serait recevable une plainte auprès du conseil de l'ordre doit être précédée d'une concertation confraternelle avec le médecin mis en cause. Pour les médecins du travail, la conciliation avec le plaignant-employeur ne peut avoir pour objet de s'expliquer sur leurs actes professionnels ce qui serait contraire aux dispositions réglementaires particulières concernant leur exercice.

    L'ordre des médecins ne soit pas compétent pour juger des pratiques professionnelles des médecins spécialistes dès lors que ces pratiques ont fait l'objet d'une élaboration et d'une évaluation formalisée publiquement et dans un cadre institutionnel entre pairs.

    C'est pour avoir observé leurs obligations en rédigeant des certificats médicaux ou des courriers à leurs confrères, constatant les liens entre l'organisation du travail et ses effets sur la santé psychique de salariés, que, très récemment, trois médecins du travail : les Docteurs E. DELPUECH, D. HUEZ et B. BERNERON ont été l'objet de plaintes d'entreprises auprès du Conseil de l'ordre des médecins dont ils relèvent. Les deux premiers agissaient es qualité de médecins du travail et le troisième dans le cadre d'une consultation de psychopathologie du travail d'un CHU. Le premier a été condamné en première instance et s'est pourvu en appel.

    Nous demandons l'abandon des poursuites disciplinaires contre les Docteurs E. DELPUECH, D. HUEZ et B.BERNERON

    Informer chaque travailleur du lien entre les risques du travail et les effets négatifs sur sa santé est un droit inscrit dans le code du travail et une obligation pour chaque médecin du travail. Rédiger des écrits, notamment des certificats médicaux, et assurer ainsi l'effectivité du droit du travailleur et particulièrement de ses droits à réparation fait également partie du devoir de tout médecin et spécialement de tout médecin du travail. L'ensemble de ces droits et devoirs est inscrit dans le code du travail et les codes de la santé publique et de la sécurité sociale. C'est cela que font les médecins du travail qui rédigent des certificats médicaux à l'appui d'une déclaration de maladie professionnelle, par exemple en attestant du lien entre une exposition à un cancérogène et la survenue d'un cancer professionnel.

    Ces plaintes et leur recevabilité par le conseil de l'ordre soulèvent des questions politiques et professionnelles.

    Le choix des juridictions disciplinaires de l'ordre des médecins ne doit rien au hasard. Alors qu'ils pourraient poursuivre les médecins incriminés dans le cadre d'une juridiction pénale, ces plaintes permettent d'intimider les médecins du travail sans risquer de publicité sur des pratiques d'entreprises, ce que pourrait impliquer la voie judiciaire.

    Ces plaintes sont donc des plaintes de circonstance, destinées à décrédibiliser les écrits des médecins du travail. Les employeurs veulent ainsi déclencher un réflexe de peur et d'abstention de témoignage chez les médecins du travail déjà malmenés par une réglementation récente.

    Ainsi, on comprend pourquoi, alors que toutes les enquêtes montrent l'impact massif sur la santé des salariés des nouvelles formes d'organisation du travail, des employeurs tentent de se garantir contre tout constat, notamment médical.

    La voie ordinale est ouverte aux employeurs par l'aubaine d'un « notamment » inscrit dans l'article R4126-1 du code de la santé publique qui ne les cite pas nommément. Se pose donc la question de leur légitimité à porter plainte. Or c'est précisément de la capacité à porter plainte des patients ou des organismes publics et des associations de patients que traite cet article. Il est par conséquent logique qu'une plainte de l'entreprise puisse être recevable dès lors que l'exercice professionnel d'un médecin du travail met en péril la santé des salariés de cette entreprise. Mais une telle plainte ne répond plus aux conditions de saisine lorsqu'il s'agit de protéger les intérêts d'une entreprise notamment dans un litige l'opposant à un ou plusieurs salariés.

    Une conciliation avec le plaignant-employeur est ici exigée par le conseil de l'ordre. Pour le médecin du travail, elle n'est pas conforme aux dispositions du code du travail. En effet, son indépendance est garantie par l'article L4623-8 du code du travail et, notamment, est mise en place, par l'article L4624-1, une procédure qui le dispense de justifier de ses actes professionnels devant un employeur en interposant l'intervention de l'inspection du travail.

    Actuellement, des méthodes d'organisation du travail et de gestion des ressources humaines génèrent des atteintes fréquentes à la santé des travailleurs du fait de risques psychosociaux. Les médecins du travail, par leur travail clinique, peuvent discerner et diagnostiquer les effets négatifs des risques psychosociaux sur la santé des travailleurs. L'évolution des entreprises, de leur fonctionnement et les pratiques professionnelles des médecins du travail sont souvent ignorées des autres médecins, notamment du conseil de l'ordre. C'est ce que pourrait laisser penser un commentaire d'un rapport du conseil national de l'ordre des médecins qui mentionne concernant la rédaction des certificats médicaux par un médecin : « Il lui est interdit d'attester d'une relation causale entre les difficultés familiales ou professionnelles... et l'état de santé présenté par le patient. ».

    Ces prises de position ordinales ignorent deux faits majeurs :

    la qualité de spécialiste du médecin du travail, qui lui permet de diagnostiquer le lien clinique entre des caractéristiques pathogènes du travail et de son organisation et des effets délétères sur la santé, notamment psychique, des salariés, comme tout autre spécialiste le pratique dans d'autres champs médicaux

    l'existence de pratiques professionnelles construites entre pairs intégrant à la clinique médicale les références scientifiques et médicales ainsi que les acquis des sciences sociales, les rendent scientifiquement pertinentes et permettent l'exercice spécialisé d'une clinique médicale du travail. Ces pratiques sont par ailleurs validées dans le cadre d'évaluation des pratiques professionnelles encadrées par la HAS
    Un ordre professionnel ne saurait avoir pour compétence d'intervenir dans les pratiques professionnelles spécialisées qui relèvent de l'élaboration et de la validation entre pairs dans un cadre collectif associatif et d'ordre public social.

    Ce qui se joue ici, c'est le droit légitime de tout travailleur à une information du médecin du travail sur les risques qu'il court personnellement et les effets qu'ils entrainent sur sa santé. En mettant en visibilité le lien santé-travail, l'attestation rédigée par le médecin du travail, permet de stimuler la prévention du risque. Cette attestation peut permettre au travailleur de prétendre à une juste réparation.

    C'est pourquoi nous apportons notre soutien aux médecins du travail mis en cause.

    L'obligation de l'employeur de reprendre le paiement des salaires du salarié déclaré inapte

    Après que l'inaptitude du salarié ait été constatée par le médecin du travail dans les conditions des articles R.4624-22 et R.4624-23 du Code du Travail, l'employeur doit débuter une véritable recherche d'un poste de reclassement.

    Si au bout d'un mois, le salarié n'est pas reclassé, pour quelque motif que ce soit, l'employeur a l'obligation de reprendre le paiement des salaires.

    Il doit s'agir du paiement de véritables salaires, et non de congés payés acquis et non pris, vient de juger la Cour de Cassation.

    En effet, l'article L.1226-4 du Code du Travail prévoit : 

    « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

    Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail »


    Par un arrêt du 3 juillet 2013, la Cour de Cassation, a jugé que l'employeur ne peut pas essayer de détourner ce texte en versant au salarié ses congés payés non pris, ou en lui imposant de prendre des congés, et qu'il doit s'agir d'une véritable reprise du paiement du salaire.


    Par ailleurs, attention, les dispositions de l'article L.1226-4 du Code du Travail ne sont pas applicables en cas d'avis d'aptitude. Il convient donc d'être vigilent sur la rédaction des avis du médecin du travail.

    Notre cabinet a été confronté à un avis ainsi rédigé :

    « Apte au poste d'aide cuisinière et plonge, avec restrictions :
    Eviction de port de charges lourdes plus de 10 kg ;
    Eviction d'affectation sur le site occupé précédemment. L'affection sur un autre site est souhaitable »

    Cet avis se traduisait dans les faits par une inaptitude totale au poste précédemment occupé, mais sa rédaction sous forme d'avis d'aptitude « piégeait » le salarié, car l'employeur n'avait pas l'obligation de reprendre le paiement des salaires au bout d'un mois. 

    Il a été nécessaire d'intervenir auprès de l'Inspection du Travail pour faire rectifier cet avis.