jeudi 29 septembre 2016

Revue des décisions du cabinet / La Cour de Cassation juge qu'un salarié qui se plaint d'un harcèlement moral ne peut pas être attaqué pour diffamation



C'est avec une certaine fierté que nous vous présentons l'arrêt rendu hier par la Cour de Cassation, dans un de nos dossiers.

La Cour de Cassation a jugé que n’est pas une diffamation le simple fait pour un salarié, de relater à son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail (CHSCT et inspection du travail, en l'occurrence) les agissements de harcèlement moral dont il est victime par son supérieur hiérarchique.

Deux employées de cuisine de la société DUPONT RESTAURATION ont écrit à leur employeur une lettre racontant les insultes et humiliations dont elles étaient victimes de la part de leurs supérieurs hiérarchiques.

Elles terminaient leur courrier par ces mots : « Je n'ai d'autre recours que de vous alerter et je vous demande d'intervenir au plus vite afin de faire cesser cet acharnement quotidien et de me permettre d'effectuer mon travail sereinement et dans de bonnes conditions. »

Une copie en était adressé au CHSCT de l'entreprise, et une autre à l’inspection du travail.

Pour toute réponse, leur employeur leur faisait injonction de retirer leurs propos « avant que la situation ne s'envenime » !

Puis la société DUPONT RESTAURATION, ainsi que les deux supérieurs hiérarchiques, attaquaient les deux salariées (alors en arrêt de travail pour dépression) pour diffamation devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS, pour réclamer 10.000 euros de dommages et intérêts à chacune.

Le Tribunal a jugé que cette lettre était diffamatoire au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 (sur la liberté de la presse). Il a condamné notre cliente et sa collègue à payer 300 euros à chacun de leurs supérieurs hiérarchiques.

Nous avons fait appel.

La Cour d'Appel de PARIS a légèrement aggravé la condamnation.

Heureusement, par arrêt du 28 septembre 2016, la Cour de Cassation, souligne que les exigences du droit de la presse et de la diffamation, notamment en matière de preuve, ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité du droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont il estime être victime.

La Cour de Cassation, chambre civile, aligne ensuite sa jurisprudence sur celle de la chambre sociale, indiquant que désormais, dans ce cas, le salarié ne peut être poursuivi qu’en cas de particulière mauvaise foi, c’est à dire s'il avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués.

Elle ajoute que le salarié de mauvaise foi sera pénalement sanctionnable uniquement sur le terrain de la dénonciation calomnieuse, et non de la diffamation.

La différence est de taille, car en matière de dénonciation calomnieuse, comme de droit du travail, c’est à l'employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié.

Alors qu'en matière de diffamation, c'est la personne poursuivie qui doit apporter des preuves, ou démontrer sa bonne foi (le seul fait de croire sincèrement ce que l'on a dit n'étant pas une preuve de bonne foi suffisante...).

Le simple exercice d'un droit encadré par la loi ne peut être constitutif d'une infraction pénale. Or l'article L1152-1 du Code du Travail est très clair :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

L'intention de l'employeur était vraisemblablement de contourner ce texte en se plaçant sur le terrain de droit de la presse et de la diffamation, supposé plus propice à une sanction déguisée.

L'objectif de la loi de 2002 était de permettre à un salarié témoin ou victime de harcèlement d'alerter son employeur, sans avoir obligatoirement à constituer au préalable un dossier de preuves irréfutables.

C'est pour que l'alerte puisse être donnée, qu'en cette matière, la liberté d'expression du salarié a été spécialement encouragée, encadrée, et protégée.

Si l'on avait suivi le raisonnement des juges de première instance et d'appel, et de l’employeur, l'effet des dispositions protectrices visées ci-dessus aurait été mis à néant, puisqu'un salarié aurait pu, pour les mêmes propos, à la fois bénéficier d'une immunité en droit du travail et être pénalement répréhensible.

Si la loi de 1881 leur avait été applicable, comment, sans risquer d'être pénalement poursuivies, des victimes de harcèlement moral auraient-elles pu dénoncer ces faits à leur employeur :

  • s'il leur était interdit de relater des faits dont elles n'ont pas la preuve ;
  • s'il leur était interdit de désigner leurs agresseurs, sous peine d'attenter à leur honneur ?

La Cour de Cassation a voulu donner un retentissement important cette décision, en ordonnant sa publication au bulletin de ses arrêts, à son rapport annuel et sur son site internet.



Pour demander cette décision

lundi 26 septembre 2016

Actualité accident du travail / la faute inexcusable de l'employeur reconnue pour deux salariés intoxiqués par des pesticides


Par jugements du 11 septembre 2014 et du 22 septembre 2016 le tribunal des Affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc a reconnu la faute inexcusable de l'employeur pour deux salariés de la société Eolys, devenue filiale de Triskalia, groupe agroalimentaire breton, et les a indemnisé du préjudice subi, à hauteur de 110.000 euros chacun.

Il s’agissait de deux salariés affectés sur une plate-forme de transit de produits phytosanitaires, qui ont été exposés à des poussières de pesticides conditionnés en poudre.

C’est en déchargeant des camions que les deux salariés ont ressenti des brûlures au visage et aux yeux, des problèmes respiratoires, des maux de têtes et des vomissements.

Ils souffrent tous deux d'une intoxication liée à l’inhalation de deux pesticides, dont l'un interdit depuis plusieurs années, et ont développé une hypersensibilité aux produits chimiques multiples, très handicapante au quotidien.

Leur employeur ne leur avait pas remis de vêtements de protection, ni de masques lors des manipulations qui les exposent aux poussières toxiques. Il n'avait pas cru devoir les informer du caractère toxique des produits qu'ils déchargeaient.


Pour lire le jugement du 11 septembre 2014 : cliquer ici.


lundi 5 septembre 2016

Actualité Accident du Travail / Index amputé par un ventilateur, 10.000 € d'amende pour l'employeur


La société SECOFAB vient d'être condamnée par le Tribunal Correctionnel à 10.000 euros d'amende, pour un grave accident du travail dont un de ses intérimaire a été victime le 12 juin 2013.

Cette société est spécialisée dans fabrication de pièces de chaudronnerie de très grandes dimensions.

La victime est un soudeur intérimaire, qui a voulu déplacer un ventilateur-aspirateur dont le souffle le dérangeait. Les pales de ce ventilateur n'étaient pas sécurisées, faute de grille pour les protéger. Selon le Procureur de la République, l’entreprise n’avait pas souhaité investir dans ces protections pour des raisons de coût.

Les doigts du salarié sont donc entrées en contact avec les pales, et la gravité des blessures a été telle qu'il a dû être amputé de l’index.

L'amende peut paraître peu élevée, eu égard à la taille de l’entreprise.

C’est malheureusement un montant conforme à ce qui est généralement fixé en la matière par les Tribunaux.

Quant à la faute inexcusable de l'employeur, avec une condamnation pénale, les chances de succès devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale sont élevées.

La loi prévoit en effet qu'un équipement de travail comportant des parties mobiles doit impérativement être sécurisé. Tel n'était évidemment par le cas en l'espèce.

lundi 22 août 2016

Revue des décisions du cabinet / Faute inexcusable de l'employeur : Chute à travers la verrière du toit d'un entrepôt


Un ouvrier nouvellement embauché a reçu pour instruction d'appliquer un film thermique adhésif sur les verrières du toit d'un entrepôt RATP.

Pour cela, il lui est demandé, avec un collègue, de monter sur les verrières, installé sur deux planches posées perpendiculairement sur le châssis du vitrage.

Durant son travail, il perd l'équilibre, chute à travers la vitre et s'écrase sur le sol de
l'entrepôt.

Son pronostic vital est engagé, il présente de multiples fractures et un traumatisme crânien.

Il nous a contacté pour soulever la faute inexcusable de l'employeur.

Devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, nous avons, entre autres, souligné le non-respect par l'employeur des règles de prévention en matière de sécurité, et l'absence totale de formation de notre client, qu'il s'agisse de la sécurité ou du travail en hauteur.

Nous avons surtout insisté sur le fait que l'employeur n'avait fourni à notre client aucun matériel adapté, et n'avait mis en place aucune protection, ni collective ni individuelle.

Or la société aurait pu installer des caillebotis en aluminium sur le châssis de la verrière afin de constituer un plan de travail sécurisé pour ses salariés.

Au minimum, des filets auraient pu être installés en sous-face de la verrière, afin de constituer un recueil souple permettant d'éviter une chute potentiellement mortelle.

De son coté, l'employeur a prétendu avoir mis à la disposition de ses salariés une échelle et des harnais de sécurité.

Nul n'a trouvé trace de ces équipements. En toute hypothèse, il n'a pas été capable d'expliquer comment, selon lui, il s auraient permis de protéger les salariés.

Des harnais de sécurité n'aurait eu une utilité que si une ligne de vie avait été préalablement installée, ce qui n'était pas le cas.

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS a donc constaté que la faute inexcusable de l'employeur était à l'origine de cet accident du travail, soulignant que :


« L'employeur ne pouvait ignorer que ce salarié n'avait pas de formation à la sécurité et pas de harnais et qu'il courait des risques graves à monter sur la verrière. Pourtant il ne lui a pas donné d'ordre exprès et écrit de ne pas monter sur la verrière. »

Pour obtenir cette décision, cliquer ICI

Revue des décisions du cabinet / Le licenciement du salarié pendant un arrêt maladie est interdit par la loi, sauf si l'employeur prouve que l'absence du salarié perturbe son entreprise au point qu'un remplacement définitif est la seule solution

Gravement malade, un ouvrier de la métallurgie (contrôleur mécanique) est placé en arrêt de travail pour une longue période.


1er problème

Après 6 mois d'arrêt, son employeur le licencie en raison des perturbations prétendument provoquées dans l'entreprise du fait de son absence prolongée.

Dans ce type de cas, le licenciement est autorisé durant l'arrêt de travail du salarié lorsque son absence prolongée perturbe le fonctionnement de l'entreprise, entraînant la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif (notamment : Cass. Soc. 15 janvier 2014, pourvoi n°12-21179 ; Cass. Soc. 26 janvier 2011, pourvoi n°09-67073 ; Cass. Soc., 23 septembre 2009, pourvoi n°08-41970, Cass. Soc. 7 avril 2009, pourvoi n°08-40073).

La désorganisation de l'entreprise doit être appréciée eu égard à l'emploi et la qualification du salarié absent (Cass. Soc., 6 février 2008, pourvoi n°06-45762), à la taille de l'entreprise, et au volume de son activité.

Surtout, c’est à l'employeur d'apporter la preuve d'une désorganisation à ce point importante que le remplacement définitif du salarié est la seule solution.

Il n'y est pas parvenu en l'espèce.

Devant le Conseil de Prud’hommes, nous avions en effet soulevé que :

1/ La société en cause employait 170 salariés, et son service de contrôle, où travaillait notre client, occupait 5 salariés fixes et de nombreux intérimaires. Puisque ce travail pouvait être fait par un intérimaire, on ne voyait pas pour quelle raison un remplacement définitif devait être envisagé.

2/ Il n'existe pas de formation spécifique pour ce poste de travail. Il était donc difficile pour l'employeur de soutenir qu'il fallait pour ce poste des compétences très spécifiques, si bien que l'absence du salarié perturbe l'entreprise.

3/ Le responsable du service montage a été plus d'un an en arrêt maladie sans que l'employeur ait considéré qu'il fallait procéder à son remplacement définitif.

4/ La personne censée avoir été recruté pour remplacer notre client occupait en réalité un autre poste.

Par jugement du 24 novembre 2015, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a prononcé la nullité de ce licenciement, indiquant : « la société D. aurait pu rechercher un intérimaire dans l'attente de son retour d'arrêt maladie ».

L'employeur a été condamné à payer la somme de 23 000 € à titre de dommages-intérêts à notre client.


2ème problème

L'employeur n'avait pas informé l'organisme de prévoyance des arrêts de travail du salarié, le privant en des prestations auxquelles il avait droit à titre de complément de salaire.


Le conseil de prud'hommes a condamné l'employeur à payer à notre client 26 000 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de déclaration de son travail auprès de l'organisme assureur.

Pour obtenir cette décision, cliquer ICI.

jeudi 7 janvier 2016

Revue des décisions 2015 du cabinet / Reconnaissance en accident de service d'un choc psychologique chez un fonctionnaire de France Telecom.

Un fonctionnaire au sein de FRANCE TELECOM rencontre depuis plusieurs années des difficultés avec sa hiérarchie, et s'estime victime de harcèlement moral.

Il est notamment convoqué à plusieurs reprises à des entretiens « managériaux » impromptus en présence de plusieurs supérieurs hiérarchiques, qui s'avèrent être des entretiens disciplinaires déguisés.

À l'annonce d'un nouvel entretien de ce type, il est victime d'un malaise et appelle les pompiers. Ces derniers diagnostiquant « de l'angoisse, de l'anxiété et du stress », et l'emmènent à l'hôpital. Il est aussitôt placé en arrêt de travail, du fait d'un choc psychologique important et d'un état anxio-dépressif.

FRANCE TELECOM refuse de prendre en charge cet accident de service et ses conséquences.

Après expertise psychiatrique judiciaire, et une longue procédure, le Tribunal Administratif de PARIS lui a donné gain de cause :

« considérant qu'il résulte des pièces du dossier que, le 25 juin 2009, M. S., qui avait été informé par courrier du 5 juin 2009 de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre, été convoqué par courriel par son supérieur hiérarchique un entretien immédiat, pour remise de documents relatifs à cette procédure, sans que l'assistance d'un représentant syndical lui soit autorisée ; que, victime d'un malaise, il a été pris en charge par le service des urgences de l'Hôtel-Dieu où le praticien a diagnostiqué une crise d'angoisse ; qu'à la suite de cet accident, M. S. a présenté un état anxieux et des troubles dépressifs qui ont nécessité des arrêts de travail successifs (…) ; qu'il résulte tant du rapport d'expertise du 23 mars 2010, réalisé par un médecin psychiatre expert et praticien hospitalier, à la demande de France Telecom, et du certificat médical établi le 14 juin 2011 par le médecin expert attaché à l'Hôtel-Dieu, que du rapport d'expertise diligenté par le tribunal, rendu le 12 décembre 2013, que le malaise de M. S. survenu le 25 juin 2009 trouve son origine et a pour cause déterminante ses conditions de travail, caractérisée par une forte conflictualité avec sa hiérarchie ; (…) l'accident du 25 juin 2009 doit être regardé comme étant en lien direct et certain avec l’exécution du service ».

FRANCE TELECOM, devenu ORANGE, a fait appel de cette décision.

Par arrêt du 31 décembre 2015, la Cour Administrative d'Appel de PARIS confirme le jugement, en rappelant très clairement les critères de prise en charge d'un accident de service :

« Considérant qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de tout autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service ».


Pour demander une copiede cette décision, cliquer ici.

jeudi 29 octobre 2015

Revue des décisions de 2015 du cabinet / Faute inexcusable de l'employeur  : Le bras d'une salariée d'un restaurant Flunch écrasé par la porte défectueuse d'une machine

Le bras d'une salarié d'un restaurant FLUNCH est écrasé par la lourde porte d'un lave-vaisselle professionnel, alors qu'elle voulait le faire démarrer.

L'employeur savait que ce lave-vaisselle était défectueux  : un des ressorts soutenant la porte centrale (pesant 15kg) était cassé, si bien qu'elle ne pouvait plus rester en position ouverte.

Cette salariée, qui a perdu l'usage de son bras, s'est vue fixer un taux d'incapacité de 60%.

Elle a soulevé la faute inexcusable de l'employeur.

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale l'a sèchement débouté de sa demande, prenant pour argent comptant les arguments de l'employeur, qui soupçonnait que la salariée aurait fait exprès d'avoir cet accident, et prétendait avoir affiché dans la cuisine du restaurant la consigne de se mettre à deux pour manipuler la porte du lave-vaisselle.

Elle a saisi notre cabinet pour la défendre en cause d'appel.

Nous avons fait valoir que l'employeur, qui avait demandé une réparation de la porte défectueuse, ne pouvait pas prétendre avoir ignoré le risque auquel était exposé la salariée.

Surtout, nous avons détaillé les mesures de sécurité prétendument prises par ce restaurant.

Il s'est avéré que cet employeur était incapable de montrer l'affichage de sécurité qu'il disait avoir mis dans la cuisine, ni même de dire précisément quelles consignes il avait données.

Or la Cour de Cassation considère qu'apposer des panonceaux de sécurité ou d'interdiction n'est pas en soi une mesure suffisante pour garantir la sécurité des salariés (Cass. Civ. 2ème, 9 décembre 2010, pourvoi n°10-10805).

Mieux encore, photos à l'appui, nous avons expliqué que s'agissant d'une porte de 15 kg, de surface lisse et non munie de poignée, on ne pouvait se contenter de dire aux salariés de la manipuler à deux  : s'agissait-il qu'un salarié la soulève et la garde ouverte pendant que l'autre décoincerait les paniers et couverts  ? Dans ce cas, il aurait été à la merci d'une maladresse de la personne soulevant la porte qui, faute de poignée, aurait pu lui échapper, ou glisser.


Rien ne disait que la prétendue consigne donnée par l'employeur aurait pu protéger ces deux salariés d'un risque d'accident.

Par arrêt du 28 septembre 2015, la Cour d'Appel de METZ a reconnu la faute inexcusable de l'employeur était caractérisée, soulignant notamment  :

«  Malgré l'urgence pour la sécurité des personnes que nécessitait cette réparation, l'employeur n'a pas tout mis en œuvre pour la réalisation d'une intervention efficace à bref délai qui lui aurait permis de mettre ponctuellement le lave-vaisselle à l'arrêt, les consignes données de soutenir la porte à deux personnes n'étant de toute manière pas de nature à empêcher tout accident.  »



La Cour a ordonné une expertise médicale pour évaluer le préjudice subi, et d'ores et déjà alloué à la victime une avance sur son indemnisation, à hauteur de 20 000 €.

Pour demander une copie
de cette décision, cliquer ici.


vendredi 21 août 2015

Faute inexcusable de l'employeur : en cas d'aggravation de son état, la victime peut demander une indemnité complémentaire

Par deux arrêts du 10 décembre 2009, la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation rappelait que la victime d'un dommage imputable à la faute inexcusable de son employeur (ou de ses ayants droits en cas de décès) sont recevables à exercer une nouvelle action en réparation du préjudice résultant de l'aggravation de l'état de la victime, dès lors qu'il n'a pas déjà été statué sur la réparation de ce préjudice complémentaire qui n'était pas inclus dans la demande initiale (Cass. Civ. 2ème, 10 décembre 2009, pourvoi n° 08-21094 et 08-15-914).

La victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle résultant d'une faute inexcusable de l'employeur est donc recevable, en cas d'aggravation de son préjudice après première indemnisation, à engager une nouvelle action en réparation de son préjudice complémentaire.

Plus récemment, le 7 mai 2015, la Cour de Cassation a confirmé cettejurisprudence dans les mêmes termes (Cass. Civ. 2ème, 7 mai 2015, pourvoi n°14-15246).

Il s'agissait en l'espèce, d'une victime dont le taux d'incapacité avait été porté de 35% à 50%, suite à une rechute prise en charge par la CPAM, ce qui constituait à l'évidence une aggravation.

Notons enfin que si ces décisions ont été rendues en matière d'amiante, tout indique qu'elles ont vocation à s'appliquer à toutes les victimes, quels que soient les pathologies dont elles souffrent.


Et si l'employeur a entretemps disparu ? Peu importe : l'organisme de sécurité sociale fera l'avance de toutes les sommes dues à la victime, à charge pour lui de se retourner contre l’employeur, s'il existe encore.

Petit guide de la faute inexcusable de l'employeur, à l'usage des victimes (actualisation septembre 2015)

I - Définition actuelle de la faute inexcusable de l'employeur

Ce que doit établir la victime :

Le régime de la faute inexcusable de l'employeur est fixé par les articles L452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale.

Sa définition actuelle résulte d'arrêts rendus le du 28 février 2002 en matière de maladie professionnelle dues à l'amiante (notamment n°00-10.051, 99-21.555, 99-17.201, et 99-17.221) : 

« En vertu du contrat de travail, l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par l’intéressé du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » 

Par la suite, cette jurisprudence a été étendue aux accidents du travail.

Pour que la faute inexcusable de l'employeur soit reconnue par les juridictions de sécurité sociale, il appartient à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle de démontrer :

- que son employeur avait, ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il était exposé ;

- qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Une fois cette preuve apportée, la responsabilité de l'employeur est établie, ce dernier étant tenu, en exécution du contrat de travail, d'une obligation de sécurité de résultat.

La connaissance du danger par l'employeur peut notamment résulter de la violation des règles de sécurité mises à sa charge par le Code du Travail, mais aussi du signalement qui lui aura été fait préalablement à l'accident par la victime elle-même, ou un membre du comité hygiène, sécurité et conditions de travail (art. L. 4131-4 du Code du Travail).

Incidence de la faute de la victime :

Par un arrêt du 24 juin 2005, l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a confirmé sa définition de la faute inexcusable, en ajoutant : 

« Qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes ont concouru au dommage. ».

Dans ces conditions, il importe peu que plusieurs fautes (celle de la victime, mais aussi celle d'un tiers) aient concouru au dommage : la faute inexcusable de l'employeur est reconnue dès lors que sa faute a été une cause nécessaire de l'accident ou de la maladie. 

Autrement dit, il suffit que la faute de l'employeur ait contribué à la réalisation du risque, même sans en être la cause prépondérante, pour que sa responsabilité est encourue.

Seule la faute inexcusable du salarié peut exonérer l'employeur de sa responsabilité. Elle est définie par un arrêt du 27 janvier 2004 comme « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ».


II - La procédure visant à reconnaître la faute inexcusable de l'employeur

La caisse de sécurité sociale dont dépend la victime est saisie par lettre recommandée avec accusé de réception.

Il est important de noter que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est soumise à la prescription de deux ans prévu à l’article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale.

Ce délai commence à courir à compter :

- pour les accidents du travail, du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

- pour les maladies professionnelles, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

étant précisé que ce délai est interrompu par l'exercice de l'action pénale ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

Après une tentative infructueuse de conciliation, la caisse invite la victime à saisir le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale compétent. 


III – Indemnisation complémentaire de la victime

Lorsque la faute inexcusable de l'employeur est reconnue la victime obtient, outre les prestations auxquelles elle avait déjà droit en application du Code de la Sécurité Sociale, une indemnisation complémentaire.

La majoration de rente ou de capital :

L'article L.452-2 du Code de la Sécurité Sociale prévoit que la rente, ou le capital, payé(e) à la victime seront majorés.

Cette mesure est d'autant plus favorable à la victime que son taux d'incapacité fixé par la sécurité sociale est élevé.

La majoration est payée à compter de la date de consolidation, ce qui donne parfois lieu au paiement d'arrérages.

Les postes de préjudice listés par le Code de la Sécurité Sociale :

L'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale prévoit l'indemnisation :

- des souffrances physiques et morales
- du préjudice esthétique
- du préjudice d'agrément
- de la perte de chance de promotion professionnelle

Les postes de préjudice supplémentaires :

Suite à une question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, le Conseil Constitutionnel a rendu le 18 juin 2010 une décision n°2010-8, aux termes de laquelle il a formulé une réserve d’interprétation concernant l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale :

« 18. Considérant, en outre, qu'indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».

Dans le communiqué de presse accompagnant cette décision, le Conseil Constitutionnel précisait qu'il appartiendrait aux juridictions de sécurité sociale de vérifier au cas par cas si les préjudices subis par une victime sont ainsi réparés.

La question du périmètre des « dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale » pouvant donner lieu à indemnisation en plus des postes de préjudice défini par l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale a, dans les années qui suivirent, donné lieu à un débat juridiques, et à de nombreuses décisions au fond contradictoires.

Au terme d'une jurisprudence considérée par les défenseurs des victimes d'accidents comme extrêmement restrictive, la Cour de Cassation a pour l'instant choisi de considérer qu'un dommage donnant lieu à une prestation payée au titre du livre IV du Code de la Sécurité Sociale, même pour un montant minime, doit être considéré comme « couvert » et ne pouvant donner lieu à indemnisation complémentaire.

Ainsi, outre ceux cités par l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale, La Cour de Cassation a, à ce jour, estimé que seuls peuvent donner lieu à indemnisation les postes de préjudice suivants :

- les frais d'aménagement du logement et d'un véhicule adapté en raison du handicap (Cass. Civ 2ème, 30 juin 2011, pourvoi n°10-19475) ;

- le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, et doit désormais être apprécié distinctement du préjudice d'agrément (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594) ;

- le déficit fonctionnel temporaire qui inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594) ;

- la tierce personne avant consolidation : assistance d'une tierce personne pendant la maladie traumatique (Cass. Civ 2ème, 20 juin 2013, pourvoi n°12-21.548)


Il est à noter que c'est à la sécurité sociale qu'il revient de faire l'avance des indemnités allouées à la victime.

Cette dernière n'a donc pas à craindre les conséquences d'une liquidation judiciaire de son employeur ou les frais et délais inhérents à l'exécution forcée d'une décision de justice.

Il est à noter que contrairement à la victime d'un accident de droit commun, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur ne peut réclamer de dommages et intérêts, devant la juridiction de sécurité sociale, pour les préjudices suivants (liste non exhaustive) :
  • perte de revenus (salaire, retraite...) pendant l'arrêt de travail et après la consolidation ;
  • incidence professionnelle (s'agissant de la pénibilité au travail, et du retard de carrière essentiellement) ;
  • préjudice scolaire
  • besoin en aide humaine (tierce personne), après consolidation ;
  • déficit fonctionnel permanent.

La réparation de la perte de l'emploi :

Par un arrêt de principe en date du 17 mai 2006, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a jugé que lorsqu’un salarié a été licencié en raison d’une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l’employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de l’emploi due à cette faute de l’employeur.

Cette indemnité est appréciée souverainement par la juridiction prud'homale, qui est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif au licenciement.

La Cour de Cassation ajoutait, le 26 janvier 2011, que cette indemnisation « ne fait pas obstacle à la réparation spécifique afférente à l'accident du travail ayant pour origine la faute inexcusable de l'employeur par la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale qui n'a pas le même objet ».

Ainsi, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur, lorsqu'elle a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude physique, ce qui correspond malheureusement à la majorité des cas, va devoir, pour parvenir à la meilleure indemnisation possible de son préjudice, cumuler une procédure devant les juridictions de sécurité sociale avec une procédure prud'homale.

Jusqu'en 2015, elle ajoutait que le préjudice spécifique résultant d'une perte sur les droits à la retraite, consécutif au licenciement, doit être pris en compte (Cass. Soc. 26 octobre 2011, pourvoi n°10-20991).

Cependant, par arrêt du 9 janvier 2015, la Chambre mixte de la Cour de Cassation est revenue sur cette jurisprudence, en des termes très clairs :

« la perte de droits à la retraite, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, est couverte, de manière forfaitaire, par la rente majorée qui présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation ;

Que la cour d'appel a donc décidé à bon droit que la perte subie par M. X... se trouvait déjà indemnisée par application des dispositions du livre IV, de sorte qu'elle ne pouvait donner lieu à une réparation distincte sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ».


vendredi 10 avril 2015

Une recherche de reclassement de moins de 3 jours au sein d’un groupe d’envergure nationale est précipitée, et le licenciement pour inaptitude doit être considéré comme abusif (Revue des décision 2015 du cabinet)

Une secrétaire présente un grave état dépressif, suite à un conflit au travail. 

Elle est placée est arrêt maladie durant 3 années, après quoi une pension d’invalidité 2ème catégorie lui est attribuée.

Elle demande une visite de reprise auprès du médecin du travail, qui conclut  : « Inapte définitivement à tout poste dans l'entreprise pour danger immédiat selon l'article R.4624-31 du code du travail. Pas de 2e visite  ».

48 heures plus tard, son employeur débute une procédure de licenciement pour inaptitude.

Devant le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY, puis la Cour d'Appel de PARIS, nous avons fait valoir que  :


1/ L'invalidité du salarié ne dispense pas l'employeur de faire une recherche de reclassement

Il ne faut pas confondre l'attribution d'une pension d'invalidité de deuxième catégorie par la CRAMIF et une inaptitude au travail.

Le cumul d'une pension d'invalidité et d'un salaire est d'ailleurs autorisé (articles R.341-14 et suivants du Code de la Sécurité Sociale).

D'ailleurs, par un arrêt du 9 juillet 2008, la Cour de Cassation a jugé que  :

«  le classement d'un salarié en invalidité 2e catégorie par la sécurité sociale, qui obéit à une finalité distincte et relève d'un régime juridique différent, est sans incidence sur l'obligation de reclassement du salarié inapte qui incombe à l'employeur par application des dispositions du code du travail  » (Cass. Soc. 9 juillet 2008, pourvoi n°07-41318).

L'employeur n'était donc pas dispensé d'une recherche de reclassement.


2/ La recherche de reclassement au sein du groupe

Lorsqu'il est informé du placement en invalidité 2ème catégorie d'un salarié, l'employeur doit, après la visite de reprise, engager une recherche de reclassement  :


Cette recherche doit être faite au sein du groupe auquel l'employeur appartient.

Dans notre dossier, l'employeur prétendait avoir fait en 48 heures une recherche au sein de la douzaine de filiales du groupe. 

Nous nous sommes permis d'émettre des doutes à ce sujet, d'autant plus qu'aucune preuve de cette recherche n'était produite, au motif qu'elle aurait été cette par téléphone (!).


3/ Un licenciement précipité

La Cour de Cassation a jugé que le fait pour l'employeur que ne consacrer qu'une seule journée à une recherche de reclassement compte tenu de sa dimension nationale et du nombre d'emplois qu'elle représentait, ne suffit pas à caractériser une recherche de bonne foi (Cass. Soc. 29 mai 2013, pourvoi n°11-20074).

Dans notre dossier, la Cour d'Appel est allée dans le même sens, et a considéré que l'employeur ne justifier pas d'une recherche de reclassement sérieuse et conduite de bonne foi.



L'employeur a donc été condamné à payer à notre cliente la somme de 35 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais aussi 5037 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 503,70 euros au titre des congés payés.


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