I
- Définition actuelle de la faute inexcusable de l'employeur
Ce
que doit établir la victime :
Le
régime de la faute inexcusable de l'employeur est fixé par les
articles
L452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale.
Sa
définition actuelle résulte d'arrêts rendus le du 28 février 2002
en matière de maladie professionnelle dues à l'amiante (notamment
n°00-10.051, 99-21.555, 99-17.201, et 99-17.221) :
« En
vertu du contrat de travail, l’employeur est tenu envers le salarié
d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui
concerne les maladies professionnelles contractées par l’intéressé
du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. Le
manquement à cette obligation a le caractère d’une faute
inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité
sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience
du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas
pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. »
Par
la suite, cette jurisprudence a été étendue aux accidents du
travail.
Pour
que la faute inexcusable de l'employeur soit reconnue par les
juridictions de sécurité sociale, il appartient à la victime d'un
accident du travail ou d'une maladie professionnelle de démontrer :
-
que son employeur avait, ou aurait dû avoir connaissance du danger
auquel il était exposé ;
-
qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Une
fois cette preuve apportée, la responsabilité de l'employeur est
établie, ce dernier étant tenu, en exécution du contrat de
travail, d'une obligation de sécurité de résultat.
La
connaissance du danger par l'employeur peut notamment résulter de la
violation des règles de sécurité mises à sa charge par le Code du
Travail, mais aussi du signalement qui lui aura été fait
préalablement à l'accident par la victime elle-même, ou un membre
du comité hygiène, sécurité et conditions de travail (art. L.
4131-4 du Code du Travail).
Incidence
de la faute de la victime :
Par
un arrêt
du 24 juin 2005,
l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a confirmé sa
définition de la faute inexcusable, en ajoutant :
« Qu’il
est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur
ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié
mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la
responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que
d’autres fautes ont concouru au dommage. ».
Dans
ces conditions, il importe peu que plusieurs fautes (celle de la
victime, mais aussi celle d'un tiers) aient concouru au dommage :
la faute inexcusable de l'employeur est reconnue dès lors que sa
faute a été une cause nécessaire de l'accident ou de la maladie.
Autrement
dit, il suffit que la faute de l'employeur ait contribué à la
réalisation du risque, même sans en être la cause prépondérante,
pour que sa responsabilité est encourue.
Seule
la faute inexcusable du salarié peut exonérer l'employeur de sa
responsabilité. Elle est définie par un arrêt
du 27 janvier 2004
comme
« la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle
gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont
il aurait dû avoir conscience ».
II
- La procédure visant à reconnaître la faute inexcusable de
l'employeur
La
caisse de sécurité sociale dont dépend la victime est saisie par
lettre recommandée avec accusé de réception.
Il
est important de noter que l'action en reconnaissance de la faute
inexcusable de l'employeur est soumise à la prescription de deux ans
prévu à l’article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale.
Ce
délai commence à courir à compter :
-
pour les accidents du travail, du jour de l'accident ou de la
cessation du paiement de l'indemnité journalière ;
-
pour les maladies professionnelles, de la date de la première
constatation par le médecin traitant de la modification survenue
dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de
l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de
l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;
étant
précisé que ce délai est interrompu par l'exercice de l'action
pénale ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel
de l'accident ou de la maladie.
Après
une tentative infructueuse de conciliation, la caisse invite la
victime à saisir le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale
compétent.
III
– Indemnisation complémentaire de la victime
Lorsque
la faute inexcusable de l'employeur est reconnue la victime obtient,
outre les prestations auxquelles elle avait déjà droit en
application du Code de la Sécurité Sociale, une indemnisation
complémentaire.
La
majoration de rente ou de capital :
L'article
L.452-2 du Code de la Sécurité Sociale prévoit que la rente, ou le
capital, payé(e) à la victime seront majorés.
Cette
mesure est d'autant plus favorable à la victime que son taux
d'incapacité fixé par la sécurité sociale est élevé.
La
majoration est payée à compter de la date de consolidation, ce qui
donne parfois lieu au paiement d'arrérages.
Les
postes de préjudice listés par le Code de la Sécurité Sociale :
L'article
L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale prévoit l'indemnisation :
-
des souffrances physiques et morales
-
du préjudice esthétique
-
du préjudice d'agrément
-
de la perte de chance de promotion professionnelle
Les
postes de préjudice supplémentaires :
Suite
à une question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été
soumise, le Conseil Constitutionnel a rendu le 18 juin 2010 une
décision n°2010-8, aux termes de laquelle il a formulé une réserve
d’interprétation concernant l’article L 452-3 du Code de la
Sécurité Sociale :
« 18.
Considérant, en outre, qu'indépendamment de cette majoration, la
victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la
juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la
réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article
L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; qu'en présence d'une
faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte ne
sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au
droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces
mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à
l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par
le livre IV du code de la sécurité sociale ».
Dans
le communiqué de presse accompagnant cette décision, le Conseil
Constitutionnel précisait qu'il appartiendrait aux juridictions de
sécurité sociale de vérifier au cas par cas si les préjudices
subis par une victime sont ainsi réparés.
La
question du périmètre des « dommages
non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale »
pouvant
donner lieu à indemnisation en plus des postes de préjudice défini
par l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale a, dans les
années qui suivirent, donné lieu à un débat juridiques, et à de
nombreuses décisions au fond contradictoires.
Au
terme d'une jurisprudence considérée par les défenseurs des
victimes d'accidents comme extrêmement restrictive, la Cour de
Cassation a pour l'instant choisi de considérer qu'un dommage
donnant lieu à une prestation payée au titre du livre IV du Code de
la Sécurité Sociale, même pour un montant minime, doit être
considéré comme « couvert » et ne pouvant donner lieu à
indemnisation complémentaire.
Ainsi,
outre ceux cités par l'article L.452-3 du Code de la Sécurité
Sociale, La Cour de Cassation a, à ce jour, estimé que seuls
peuvent donner lieu à indemnisation les postes de préjudice
suivants :
-
les frais d'aménagement du logement et d'un véhicule adapté en
raison du handicap (Cass. Civ 2ème, 30 juin 2011, pourvoi
n°10-19475) ;
-
le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à
la sphère sexuelle, et doit désormais être apprécié
distinctement du préjudice d'agrément (Cass. Civ 2ème, 4 avril
2012, pourvois n°11-14311 et 11-14594) ;
-
le déficit fonctionnel temporaire qui inclut, pour la période
antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle
totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les
pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante
durant la maladie traumatique (Cass. Civ 2ème, 4 avril 2012,
pourvois n°11-14311 et 11-14594) ;
-
la tierce personne avant consolidation : assistance d'une tierce
personne pendant la maladie traumatique (Cass. Civ 2ème, 20 juin
2013, pourvoi n°12-21.548)
Il
est à noter que c'est à la sécurité sociale qu'il revient de
faire l'avance des indemnités allouées à la victime.
Cette
dernière n'a donc pas à craindre les conséquences d'une
liquidation judiciaire de son employeur ou les frais et délais
inhérents à l'exécution forcée d'une décision de justice.
Il
est à noter que contrairement à la victime d'un accident de droit
commun, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur ne peut
réclamer de dommages et intérêts, devant la juridiction de
sécurité sociale, pour les préjudices suivants (liste non
exhaustive) :
- perte de revenus (salaire, retraite...) pendant l'arrêt de travail et après la consolidation ;
- incidence professionnelle (s'agissant de la pénibilité au travail, et du retard de carrière essentiellement) ;
- préjudice scolaire
- besoin en aide humaine (tierce personne), après consolidation ;
- déficit fonctionnel permanent.
La
réparation de la perte de l'emploi :
Par
un arrêt
de principe en date du 17 mai 2006, la Chambre Sociale de la Cour
de Cassation a jugé que lorsqu’un salarié a été licencié en
raison d’une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle
qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l’employeur,
il a droit à une indemnité réparant la perte de l’emploi due à
cette faute de l’employeur.
Cette
indemnité est appréciée souverainement par la juridiction
prud'homale, qui est seule compétente pour connaître d'un litige
relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif au
licenciement.
La
Cour de Cassation ajoutait, le
26 janvier 2011, que cette indemnisation « ne
fait pas obstacle à la réparation spécifique afférente à
l'accident du travail ayant pour origine la faute inexcusable de
l'employeur par la décision du tribunal des affaires de sécurité
sociale qui n'a pas le même objet ».
Ainsi,
la victime d'une faute inexcusable de l'employeur, lorsqu'elle a fait
l'objet d'un licenciement pour inaptitude physique, ce qui correspond
malheureusement à la majorité des cas, va devoir, pour parvenir à
la meilleure indemnisation possible de son préjudice, cumuler
une procédure devant les juridictions de sécurité sociale avec une
procédure prud'homale.
Jusqu'en
2015, elle ajoutait que le préjudice spécifique résultant d'une
perte sur les droits à la retraite, consécutif au licenciement,
doit être pris en compte (Cass. Soc. 26 octobre 2011, pourvoi
n°10-20991).
Cependant,
par
arrêt du 9 janvier 2015, la Chambre mixte de la Cour de Cassation
est revenue sur cette jurisprudence, en des termes très clairs :
« la
perte de droits à la retraite, même consécutive à un licenciement
du salarié pour inaptitude, est couverte, de manière forfaitaire,
par la rente majorée qui présente un caractère viager et répare
notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence
professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle
subsistant au jour de la consolidation ;
Que
la cour d'appel a donc décidé à bon droit que la perte subie par
M. X... se trouvait déjà indemnisée par application des
dispositions du livre IV, de sorte qu'elle ne pouvait donner lieu à
une réparation distincte sur le fondement de l'article L. 452-3 du
code de la sécurité sociale ».